Mon nom est Mariève.
Je suis une femme, une sœur, une cousine, une amie. Je suis aimante, compatissante, sensible au point d’en être parfois déchirée. Solitaire aussi, habitée par la musique, la beauté de l’art, la nature et la présence des animaux. Je suis née d’une mère comptable agréée et d’un père ouvrier. Citoyenne canadienne, hétérosexuelle, danseuse.
Et prostituée.
Voilà.
Il y a fort à parier que plusieurs arrêteront déjà leur lecture, concluant qu’une prostituée n’a certainement rien à dire que l’on puisse prendre en compte. Il est surprenant comment, à lui seul, un simple mot peut avoir autant de pouvoir que celui de déshumaniser complètement une personne. Comme si à la simple prononciation du mot « prostituée », je ne devenais plus que celui-ci. Que ma vie entière se résumait à un vide ponctué de nombreux ébats sexuels de nature perverse et déshonorante. Comme s’il s’agissait non pas d’un travail, mais de ma principale identité. Une enveloppe vide sans la moindre personnalité, un jouet sexuel manipulable et achetable par qui le veut bien, un objet dont la société peut se débarrasser sans remords.
Mais je ne vous en veux pas. Nous avons tous été formatés.
Dès l’enfance, la société nous enseigne ce qu’il faut penser. Les idées reçues s’infiltrent partout : dans la culture, la politique, la religion, l’école, la télévision, les films, les journaux, les magazines, la radio. Les médias façonnent nos jugements. Et même si, avec le temps, plusieurs de ces jugements se révèlent faussés ou nocifs, il n’est jamais facile de les remettre en question.
Je vous le dis sans détour : mes écrits ne sont ni une apologie ni une condamnation de la prostitution. Je n’ai aucun intérêt à la promouvoir, et aucun désir de la nier. La prostitution a toujours existé et elle continuera d’exister. Qu’on le veuille ou non.
Ne dit-on pas que c’est le plus vieux métier du monde — ou presque ?
Alors, rien d’étonnant à ce qu’au XXIe siècle, avec la mondialisation capitaliste et les technologies de communication, l’industrie du sexe se hisse au sommet des marchés mondiaux. On peut refuser de la voir, mais on ne peut nier son influence colossale dans l’économie globale.
Et pourtant, la prostitution n’est que la pointe de l’iceberg.
Sous sa surface, dans les eaux troubles et usées, se cachent des questions bien plus vastes. On croit que seules les travailleuses du sexe, leurs clients et les proxénètes sont concernés. C’est faux. Tout le monde l’est.
La controverse qui entoure la prostitution n’est pas un phénomène isolé : elle est le reflet de mécanismes sociaux profondément enracinés. La reproduction sans fin des mêmes idéologies archaïques. Des schémas de pensée hérités, que nous répétons machinalement sans jamais les questionner.
Cet essai n’a pas la prétention d’apporter des réponses définitives.
Mon but est autre : dans la plus grande délicatesse possible, je veux interroger nos certitudes, secouer les idées reçues. J’aimerais qu’un jour nous puissions briser l’étanchéité de ce paquebot de l’injustice, qui navigue sans relâche entre le crime organisé, la drogue et la sexualité.
Je vous propose donc une traversée. Une plongée au cœur d’une mer houleuse, où la morale, l’histoire, la religion, le droit, la psychologie et la sociologie s’entrechoquent comme des vagues. Je sais que mes propos outreront certains. Peut-être beaucoup.
Mais je n’écris pas pour ménager.
J’écris pour dire.
Alors je vous demanderais une seule chose : lisez jusqu’au bout, avant de juger.