CHAPITRE 25
— Des visages ordinaires
Depuis des millénaires, on a dessiné le portrait caricatural de la fille de joie, sans jamais vraiment le retoucher. Et dans le même mouvement, on a figé celui du client.
Dans l’imaginaire collectif, il serait toujours le même : un vieux libidineux, ou un jeune à l’appétit sexuel débordant. Parfois, c’est l’agresseur, sans scrupule et sans pitié. Bref, des figures toutes faites, rassurantes parce qu’elles permettent de ne pas penser plus loin.
Mais ces images ne sont que de grossières esquisses. Un brouillon où manquent les lignes essentielles. En réalité, le profil du client est aussi varié que celui de n’importe quel autre milieu social. J’ai côtoyé des hommes d’affaires, des médecins, des avocats, des juges, des travailleurs de la construction, des chefs d’entreprise, des chômeurs. De toutes les classes sociales, de tous les âges, de toutes les origines. Célibataires, mariés, divorcés. Et, selon les statistiques, plus de la moitié d’entre eux sont aussi des pères de famille.
Durant mes années dans ce milieu, j’ai rencontré toutes sortes de personnes, de bonnes et de moins bonnes, comme dans n’importe quel milieu. J’ai rencontré des travailleuses du sexe intelligentes, admirables, humaines, ouvertes d’esprit, honnêtes et sensibles. Des femmes qui ne manquent pas de personnalité, qui ont des opinions, des rêves et autant de valeur que n’importe quel autre être humain.
J’ai connu des clients merveilleux au cœur tendre, des hommes fragiles, vulnérables, généreux, respectueux et sincères. J’ai côtoyé des gens inspirants qui m’ont touché, m’ont ému, fait rire et réfléchir. D’autres qui m’ont poussé à devenir une personne encore meilleure. Qu’il s’agisse des travailleuses du sexe ou des clients, il n’y a pas de profils types. On y retrouve tous les types de personnalité. Ce sont nos pères et nos mères, nos frères et nos sœurs, nos amis, nos amours… Ce sont des gens comme nous tous qui méritent respect et considération.
En somme, la sexualité est en partie redevenue une activité normale, saine et recommandée par la médecine. Une activité sexuelle régulière améliore la santé, protège la femme du cancer du sein et l’homme de celui de la prostate. Faites l’amour deux fois par semaine et vous verrez votre espérance de vie augmenter, vous vivrez plus jeune et plus équilibré.
Les bienfaits d’une sexualité épanouie sont nombreux. Pourtant, on oublie vite celles et ceux qui ne trouvent pas de partenaire pour combler ce besoin. Les veuves, les veufs. Les handicapés. Les personnes trop timides, trop occupées, ou simplement laissées de côté par les jeux de séduction. Ces gens n’auraient-ils pas droit, eux aussi, à des moments de tendresse, de plaisir, de proximité humaine?
La prostitution, malgré les discours, fait partie des sociétés d’hier comme d’aujourd’hui. C’est un débat sans fin : on voit sa nécessité, mais on refuse de la regarder en face. Alors, on préfère blâmer celles et ceux qui la pratiquent, comme si en les effaçant, le problème disparaissait.
Pourtant, la vérité est simple : la sexualité est à la base des besoins humains. Maslow l’a placée au même niveau que respirer, boire, manger, dormir. La plupart d’entre nous parvient à la combler plus ou moins facilement. Mais pour certains, c’est une quête presque impossible. Et la prostitution, qu’on le veuille ou non, répond à ce besoin-là.