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                                                            CHAPITRE 21

                                                  — Le double standard

                                                                du corps

 

 

 

De plus, la ténacité de cette croyance populaire, selon laquelle une femme ne peut être à la fois belle et intelligente, renforce l’image de la femme-objet engendrée par le patriarcat. Tout ça laisse entendre qu’elle ne peut utiliser son pouvoir d’attraction et ses charmes tout en se servant de son cerveau. Comme si l’on savait d’emblée qu’une belle femme, séduisante et séductrice, était indubitablement dénuée d’intelligence.

 

Pourquoi le corps et la sexualité féminine ne pourraient-ils pas être valorisés et considérés comme une force plutôt qu’une faiblesse ?

Les hommes qui dansent nus devant des femmes ne sont pas vus comme des objets, mais comme des figures viriles, confiantes, admirées. On leur prête de la puissance, pas de la soumission. Personne n’oserait remettre en cause leur respect d’eux-mêmes. Mais qu’une femme ose faire de son corps un outil de désir, et aussitôt la question du respect de soi surgit, comme un piège rhétorique.

Deux séries québécoises illustrent parfaitement ce double standard.

Il y a d’abord l’émission intitulée « Danseuse », un spectacle pénible où les travailleuses du sexe sont, la plupart du temps, présentées de manière simpliste et stéréotypée. Loin des « spotlights », c’est dans le décor décrépit de la loge des filles, celui d’une « maison » de chambre d’un immeuble crasseux ou d’un bar de région miteux, que se déroule l’émission. Témoignages poignants, pleurs, regrets et souffrance sont au programme. Tout y concourt à présenter la danse érotique féminine comme une descente aux enfers.

Aux antipodes de cette émission, il y a ensuite la version masculine. La seule prononciation de son titre, « Les dieux de la scène », évoque manifestement cette double norme. Des danseurs viennent à leur tour raconter leur histoire, mais cette fois, dans le décor suave et feutré de maisons de prestige ou encore sur le bord d’une plage ou assis confortablement dans un spa renommé de Montréal. L’ambiance est festive, glamour, presque triomphante. Pas de larmes, pas de honte : seulement la célébration d’une virilité admirée et enviée.

Ce contraste est flagrant. La danse masculine est représentée comme un jeu, une réussite. La danse féminine, comme une tragédie. La perception sociale ne repose pas sur les faits, mais sur une morale héritée du puritanisme. La libération sexuelle des femmes se heurte encore et toujours à ce double standard ancestral qui juge l’une et absout l’autre.

Les discours moralistes et conservateurs qui stigmatisent les travailleuses du sexe ne visent qu’à préserver l’ordre patriarcal au profit des hommes de la classe dominante. Ainsi, même si certaines pratiques peuvent constituer un véritable gain d’autonomie économico-sexuelle pour les femmes — contrairement à ce que prétend le discours misérabiliste abolitionniste — il est hors de question, pour ceux qui détiennent le pouvoir, de les reconnaître comme telles.

De cette manière, on s’assure que les profits générés par le corps des femmes retournent presque intégralement dans les poches masculines : non seulement celles des proxénètes et du crime organisé, mais aussi celles des publicitaires qui exploitent la nudité pour écouler chaussures, parfums, bières ou lunettes griffées. Ajoutons les sociétés de production de vidéoclips — en particulier dans la culture hip-hop — où l’on érige le proxénète en modèle. Toutes ces structures, dirigées majoritairement par des hommes, captent l’essentiel des richesses engendrées par la sexualité féminine.

Comme je disais, lorsqu’il s’agit d’utiliser le corps des femmes pour vendre n’importe quel produit, tout le monde applaudit. Mais qu’une femme décide de montrer et d’assumer son corps librement, en pleine conscience, et aussitôt les critiques fusent.

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