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                                                                                CHAPITRE 16

                                                          — L’amour sous tutelle

 

 

 

Je ne pourrais parler de sexualité sans parler d’amour.
Et comme la sexualité, l’amour a toujours été strictement encadré. Nous avons hérité d’une morale si tenace qu’elle nous paraît « naturelle », alors qu’elle n’est qu’une construction historique, culturelle et religieuse.

Notre culture ne nous propose qu’un seul scénario sentimental : deux personnes, en couple, exclusives, vivant ensemble, fondant une famille. La monogamie est devenue l’idéal central, profondément enraciné dans l’imaginaire collectif. Ailleurs, la polygamie a parfois été tolérée, mais toujours dans un cadre normatif, jamais en dehors des règles.

Certes, les choses évoluent. Le concubinage n’est plus condamné. Les couples homosexuels commencent à être acceptés. Il est possible, aujourd’hui, de vivre une relation libre sans provoquer la foudre de la loi ou de la morale. Mais la route reste semée d’embûches.

Car la remise en question de la monogamie n’a rien de nouveau. Elle resurgit sans cesse, mais se heurte toujours aux mêmes mécanismes patriarcaux. Nous vivons dans un système façonné par des croyances millénaires. Découvrir de nouvelles formes de relations ne fait pas disparaître comme par magie les schémas hérités de l’Église et de ses alliés. Pendant des siècles, ils ont façonné l’État, la justice, la science elle-même. Croire que ces modèles s’effaceront d’un claquement de doigts est une illusion.

La recherche scientifique en dit long sur ce biais. Très peu d’études portent sur le polyamour ou la non-monogamie. La plupart privilégient la monogamie et insistent sur les difficultés rencontrées par ceux qui s’en écartent. On tait les expériences positives. Comme si mettre en valeur la richesse des relations libres représentait une menace. Une menace pour le modèle dominant : une monogamie enchevêtrée dans le capitalisme et le patriarcat.

Car si l’on accepte que l’amour puisse se décliner autrement, on ébranle des dogmes plus larges : la famille nucléaire, l’autorité religieuse, l’ordre moral. Quels intérêts l’Église aurait-elle à reconnaître et normaliser de telles alternatives? Aucun.

C’est pourquoi libertinage, amour libre, polyamour ou non-monogamie restent des concepts stigmatisés. L’histoire les associe à la débauche, à l’absence de vertu. La chasteté et la fidélité, elles, sont élevées au rang d’absolus. Deux idéaux esthétiques, certes, mais qui ne reflètent qu’une fraction de la réalité.

Or, dire qu’il n’existe qu’une seule façon d’aimer équivaut à dire que nous avons tous la même personnalité, les mêmes désirs, les mêmes fantasmes. C’est nier l’évidence : la diversité est la loi fondamentale de la vie. Chaque être est unique, chaque relation l’est aussi.

​Nous rêvons presque tous du grand amour : celui qui dure toujours, qui ne faiblit jamais. Mais l’amour n’a pas de définition universelle. Il n’existe qu’à travers celui qui le vit. Il ne s’agit pas de se résigner à accepter l’échec du couple à long terme, bien au contraire. En amour comme en amitié, les sentiments qui durent toute la vie, c’est possible, bien sûr, mais l’idéal monogame ne convient pas à tous. Pour certains, il est naturel. Pour d’autres, insupportable. Et pour chacun de nous, il peut changer au fil du temps.

 

Les gens évoluent, leurs besoins aussi. Ce qui satisfait aujourd’hui peut devenir une prison demain. L’idéal monogame crée des attentes démesurées, nourrit des déceptions, dévalorise toute autre forme de lien. Pourtant, ce sont parfois ces liens hors norme qui nous font grandir le plus.

C’est pourquoi il est urgent de concevoir de nouveaux modèles. Des modèles souples, capables de reconnaître que désir affectif et désir sexuel ne vont pas toujours de pair. Des modèles qui cessent de moraliser et qui apprennent à comprendre.

​Le mariage illustre bien cette contradiction. On le célèbre comme la preuve d’un amour éternel et inconditionnel. Mais sous le vernis des diamants et des serments, combien de mensonges dissimulés, combien de frustrations étouffées? L’infidélité n’est pas l’exception, mais souvent la règle invisible.

Qu’on le veuille ou non, nos idéaux amoureux restent modelés par des siècles de dogmes religieux. Même sans croire, nous avons intégré leurs schémas. Nous cherchons à entrer dans le moule, persuadés que si ces modèles ont résisté aux siècles c’est qu’ils ont assurément une certaine valeur.

 

​Mais cette vision unilatérale étouffe d’autres manières de vivre l’amour. Elle fait de la monogamie un horizon indépassable, alors qu’elle n’est qu’une option parmi d’autres.

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