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                                                         CHAPITRE 14

                                                         — La vierge,

                                                    la mère et la putain

 

 

 

La prostituée incarne à elle seule l’archétype de la femme fatale. Belle, tentatrice, hypersexualisée, elle concentre toutes les peurs qu’inspire le pouvoir érotique féminin. La femme fatale séduit pour perdre, et la prostituée, dans l’imaginaire collectif, n’échappe pas à cette logique.

Face à ce qu’on redoute, la stratégie la plus efficace reste la diabolisation : lui faire perdre toute confiance en sa propre valeur.

​Religion et femmes, voilà une relation marquée par la suspicion et l’ambivalence. Les institutions religieuses, toutes confessions confondues, ont réprimé la sexualité féminine, faisant du culte de la virginité et de la naissance miraculeuse un pilier fondateur. Jésus, Krishna, Bouddha, Lao-tseu, Horus, Mithra, Attis de Phrygie, Dionysos, Persée, Quetzalcoalt, Zoroastre tant d’autres : tous, dit-on, sont nés d’une vierge ou d'un miracle. Ainsi, l’utérus devient sacré à condition d’être fermé au désir.

« La sexualité a toujours été la préoccupation première des communautés religieuses. […] La femme est un objet de péché et d’impureté qu’il faut exclure. Puisqu’elle ne sert que de contenant à l’inestimable semence de l’homme, il n’est pas étonnant qu’elle ait été instrumentalisée en vue de la reproduction. »

— Denise Bombardier

À travers les siècles, l’identité féminine s’est vue réduite à trois archétypes : la vierge, la mère et la putain. Trois masques imposés, trois prisons dorées ou infamantes. La dichotomie « maman versus putain » traverse encore nos sociétés : sexe pur contre sexe sale, sexe digne contre sexe pathologique. Accepter qu’une femme puisse être à la fois travailleuse du sexe et mère aimante reste impensable pour beaucoup.

On glorifie la mère, on stigmatise la prostituée. On réduit la femme à son sexe — organe et sexualité confondus — et celles qui refusent ce carcan sont ignorées, méprisées, délégitimées. On prétend qu’elles ne savent pas ce qu’elles font, qu’un autre parlera mieux qu’elles de leur propre vie. On manifeste indignation et rejet contre la « fille facile », contre celle qui ose faire de son sexe un autre usage que celui dicté par l’ordre social.

Objet de domination, de désir et de crainte, le corps féminin a toujours troublé le religieux et, par ricochet, le social. La femme fatale, la vierge et

la prostituée repentie sont les visages interchangeables d’un même contrôle : maintenir la femme dans une position de soumission.

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