CONCLUSION
LA VÉRITÉ MISE À NU
Cela faisait déjà quelques années que j’avais quitté l’industrie du sexe. Depuis un an, je travaillais avec les animaux, une passion qui avait toujours occupé une place essentielle dans ma vie. J’aimais prendre soin d’eux, et, dans l’ensemble, ma vie me semblait satisfaisante.
Pourtant, ma sortie de l’industrie m’avait laissé un goût amer. J’avais l’impression d’avoir perdu une bataille. Je n’étais pas partie en femme forte et libre, mais avec le sentiment d’un échec. Financièrement aussi, j’y avais laissé des plumes. J’avais toujours rêvé de sortir la tête haute, et cela ne s’était pas produit. Comme si je n’avais pas eu la force intérieure nécessaire. Pour moi, c’était inacceptable.
Trois ans plus tard, libérée des chaînes morales et sociales d’un monde prétendument affranchi du patriarcat, je suis remontée sur scène, plus forte que jamais. Avec le recul, je voyais désormais l’industrie avec des yeux plus clairs, et le jugement des autres n’avait plus de prise sur moi.
J’ai travaillé encore deux ans et demi, le temps de reprendre pleinement le contrôle de mes finances. Grâce à cet argent, j’ai pu conserver ma maison et lancer mon entreprise, qui fait de chaque jour une source de joie. Et, cette fois, j’ai quitté l’industrie la tête haute, bien plus haute qu’elle ne l’avait jamais été.
Le 20 octobre 2018 a marqué ma dernière journée comme travailleuse du sexe.
En conclusion, la prostitution dérange parce qu'elle force la société à regarder en face son hypocrisie sexuelle. Parce qu'elle expose ce qu'on veut cacher : le contrôle social de la jouissance, surtout quand elle est féminine.
Le travail du sexe heurte les normes, non pas parce qu'il est immoral, mais parce qu'il est inclassable. Il échappe à la logique du couple, de l'amour romantique, de la femme "respectable". Il démasque la fiction.
Et tant que les femmes auront besoin de l'approbation des autres, elle resteront sous surveillance. La première révolution, c'est intérieur : se réapproprier son regard. Se choisir au lieu d'être choisie.
Chaque travailleuse du sexe, chaque femme, a le pouvoir refuser le rôle assigné. Celui de la femme douce, soumise , pudique, silencieuse ou coupable. C'est une affaire de perception. Et la perception ça se reprogramme .
Moi, je suis Mariève. Ex-prostituée, et fière de l'avoir été. Fière d'avoir offert un peu de tendresse là où il n'y en n'avait plus. D'avoir répondu à un besoin aussi humain que manger ou dormir. D'avoir soulagé la solitude, calmé l'angoisse, apaisé la peau. Les prostituées sont des survivantes. Elles survivent au mépris, à l'insulte, à la honte qu'on leur plaque au corps. Elles survivent aux projections des autres. Elles survivent à votre malaise.
Le travail du sexe est un travail. Point. Et il est grand temps de le reconnaître comme tel, avec ses compétences, sa charge, sa valeur. Mais au-delà de la prostitution, c'est toute la sexualité féminine qui est encore en exil. Réprimée, méprisée, marchandisée, ou sacralisée.. mais jamais laissée libre.
On continue d'érotiser la soumission, de punir le désir, de valoriser la retenue. On diabolise la femme qui ose, on vénère celle qui se tait. Et pendant ce temps, le féminin crève. En nous tous. Ce que je défends ici, ce n'est pas qu'un statut pour les putes. C'est un combat pour réconcilier ce qui a été déchiré : le féminin et le masculin, le corps et l'esprit, l'intime et le politique.
On ne guérira pas la société sans réhabiliter le sexe. On ne guérira pas l'humain sans reconnaître ce qu'il a tenté d'étouffer pendant des siècles : la puissance du féminin. Ce n'est plus une guerre des sexes. C'est une guerre contre les rôles, contre les normes, contre tout ce qui nous empêche de devenir enfin.. entiers.
Nous avons besoin d'un monde où une travailleuse du sexe n'a plus à se cacher. Un monde où le corps féminin n'est ni un temple sacré, ni une marchandise, mais un territoire libre.
Ce monde est possible. Mais il faudra le bâtir à coup de lucidité, de courage, et d'amour radical.
« Ce n'est pas la femme qu'il faut libérer. C'est l'humanité qu'il faut réconcilier avec sa part féminine. »
Mariève