CHAPITRE 9
« Parce qu’il n’existe pas de prostituée sans proxénète, il ne peut pas exister de droit à se prostituer, car c’est un acte dégradant de la dignité humaine en soi. La seule liberté pour une femme est en effet de quitter la prostitution, car une femme prostituée est fondamentalement aliénée, même lorsqu’elle dit parler de sa propre initiative » (Bulletin d’histoire politique, Évolution du discours féministe sur la « prostitution » au Québec. Volume15. Marie-Claude Laberge, Maria Nengeh Mensah
J’ai entendu ce discours fréquemment au fil du temps. C’est d’ailleurs la position que prend la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies depuis décembre 1949. Les campagnes menées par le mouvement abolitionniste ont fait leur bout de chemin !
C’est à mon sens un discours rempli de préjugés, extrêmement infantilisant, méprisant et réducteur. En déduisant ainsi que chaque femme qui travaille dans l’industrie du sexe est inexorablement aliénée, c’est encore une fois tout le discours patriarcal, selon lequel les femmes ne sont pas en mesure de gérer leur sexualité comme elles l’entendent, que nous confortons. Ce n’est qu’encore une fois la suite de cette logique phallocentrique selon laquelle une femme ne peut être en mesure de faire des choix éclairés sur la façon dont elle dispose de son propre corps. Une simple manière déguisée d’exercer un contrôle sur la sexualité des femmes. La plupart des arguments niant la possibilité de considérer la prostitution comme un métier sont paternalistes.
En invoquant la présomption qu’elles sont toutes (sans exception) des victimes dépourvues de capacités décisionnelles, pas étonnant que le discours des travailleuses du sexe soit rarement pris en compte lors des débats politiques. Facile de se cacher derrière l’image du sauveur lorsque chaque femme est considérée d’emblée comme une victime.
Pour éclaircir tout ça, il faudrait d’abord qu’il y ait un consensus en ce qui concerne la réelle définition d’un proxénète. La définition première du proxénétisme est le fait de générer des profits sur l’activité de prostitution d’autrui. Mais cette simple définition laisse place à tant d’interprétations diverses que l’on a de la difficulté à se faire une idée du véritable portrait du proxénète. Cependant, pour pouvoir en débattre, nous devrons d’abord faire le point en ce qui concerne la prostitution versus l’exploitation sexuelle.
Depuis toujours, nous tentons d’enrayer le commerce sexuel par tous les moyens possibles, sans trop tenter de faire la distinction entre le travail du sexe et l’exploitation sexuelle, alors qu’il y’a pourtant un abîme entre les deux. La plupart du temps, on considère d’emblée qu’une femme qui se prostitue le fait par obligation. Nous avons beaucoup de difficulté à reconnaître celles qui peuvent avoir choisi leur métier. Mais quand une femme est forcée de se prostituer, il n’est plus question de travail du sexe. L’exploitation sexuelle n’a rien de consensuel. Le travail du sexe implique un consentement et lorsqu’elles y sont contraintes par la ruse ou par la force, il n’y a alors plus aucune liberté d’action possible.
Faire la distinction entre « traite humaine » et « travail du sexe »
est donc impératif si l’on souhaite, qu’un jour, justice soit rendue tant du côté des travailleuses du sexe que de celui des victimes d’exploitation sexuelle. On ne peut pas intervenir de manière optimale en ayant la même approche pour deux situations complètement différentes, c’est un non-sens.
Ainsi, confondre travail du sexe et trafic humain est défavorable autant à l’un qu’à l’autre de ces deux groupes. D’un côté, cela nuit aux travailleuses du sexe, à la revendication de leurs droits, à la reconnaissance de leur agentivité, à leur capacité décisionnelle ainsi qu’à l’accès à des conditions de travail sécuritaires. Une prostituée reconnue, protégée par la loi et pouvant faire appel aux forces de l’ordre si elle est menacée ou violée par un client, sera en bien meilleure position pour se défendre et même exiger le port du préservatif.
La position dans laquelle se trouvent actuellement les travailleuses du sexe les rend extrêmement vulnérables face à la violence. Nous avons encore parfois de la difficulté à admettre que les prostituées aussi peuvent être violées, mais ce n’est pas parce qu’une femme vend des services sexuels que le client a tous les droits sur elle. C’est pourquoi leur offrir une protection équivalente à l’ensemble de la population est absolument indispensable.
D’un autre côté, cela cause préjudice aux victimes de trafic sexuel puisque la communication et la coopération entre les forces de l’ordre et les travailleuses du sexe deviennent alors presque impossibles.
Par ailleurs, la police prend de son temps pour sanctionner les clients des travailleuses du sexe majeures et consentantes. Ce précieux temps pourrait servir à traquer les clients abuseurs et les exploiteurs qu’elle perd. Un temps qui serait extrêmement utile au démantèlement de réseaux de prostitution juvénile.
Envisager la prostitution de la même façon que l’exploitation sexuelle, c’est aussi continuer de s’engouffrer dans une posture morale et puritaine dictant ce que doivent être une femme et sa sexualité.
Décriminaliser entièrement la prostitution, c’est se concentrer sur l’essentiel, soit prioriser la lutte contre le gangstérisme, la traite des humains, le proxénétisme de coercition, l’exploitation sexuelle, l’esclavage, les agressions sexuelles et l’exploitation des mineurs.
Ce sont des crimes ignobles qui méritent notre attention. Conséquemment, tant que nous aurons de la difficulté à faire la différence entre exploitation sexuelle et travail du sexe, nous aurons toujours peine à intervenir efficacement. Bien que le travail du sexe ne soit plus considéré comme un crime au Canada, l’achat de services sexuels l’est toujours. Mais que ce soit la travailleuse du sexe qui a peur de se faire prendre ou le client, cela revient un peu au même en ce qui concerne la transaction.
Il y aurait assurément moins de problèmes d’insécurité et de violence par rapport au travail du sexe si la prostitution était entièrement décriminalisée. Les prostituées auraient ainsi la possibilité de se présenter dans des centres de santé sans être jugées, d’aller au tribunal sans être dénigrées ou de porter plainte à la police sans être inquiétées. La décriminalisation de la prostitution serait le meilleur moyen de réduire l’exploitation des mineurs, en particulier grâce à des lois du travail. D’ailleurs, historiquement, la preuve est faite. Là où la prostitution est complètement illégale, l’exploitation sexuelle gagne toujours plus de terrain, alors que là où elle entièrement décriminalisé elle a tendance à diminuer considérablement.
À l’évidence, il nous reste une bien longue route à parcourir si l’on veut véritablement aider les victimes d’exploitation sexuelle sans nuire aux femmes qui, comme moi, le font par choix et de manière éclairée.
Ainsi, nous ne pourrons avoir une idée claire de la véritable identité du proxénète qu’à partir du seul moment où nous pourrons admettre qu’il y a tout un monde entre prostitution et exploitation sexuelle. Lorsque l’on considère d’emblée que toute femme prostituée y est nécessairement contrainte, qu’elle n’est pas en mesure de faire ce choix de vie et qu’elle est inexorablement aliénée, toute personne en lien avec la prostitution d’autrui devient alors inévitablement un proxénète.
De mon point de vue, c’est un raisonnement extrêmement simpliste.
Certains acteurs de l’industrie jouent un rôle bien utile pour les travailleuses du sexe et les rapports entre eux ne s’accompagnent pas nécessairement de coercition ou d’actes de violence. Les services offerts par les propriétaires d’agences, de maisons closes, de salons de massage ou de bars ainsi que par les chauffeurs et les « bookers » peuvent s’avérer très profitables et équitables pour les deux parties. Le partage inéquitable du fruit de la prostitution est d’ailleurs, à mon sens, l’un des points qui caractérisent le proxénétisme.
Tous les moyens sont bons pour les proxénètes quand il s’agit de recruter des personnes à des fins d’exploitation sexuelle. Ils peuvent utiliser toutes sortes de ruses, diverses formes de violence et différents moyens, parfois excessivement contraignants, pour arriver à atteindre leurs objectifs. Les exploiteurs n’hésiteront pas à jouer la carte du prince charmant. Au début, la plupart se montreront plutôt gentils, protecteurs et généreux.
Il devient alors facile pour eux de tirer profit du sentiment amoureux ou de dépendance qu’aura développé la victime envers celui qui était autrefois le compagnon rêvé. L’espoir et l’envie de retrouver cette personne généreuse et attentive du début de la relation deviennent si pressants qu’elle sera prête à tout dans le but de plaire à l’être aimé. L’amour est parfois aveugle et les proxénètes l’ont bien compris. Le proxénète peut alors manipuler sa victime et l’inciter, voire l’obliger, à offrir des services sexuels pour :
– Rester en relation avec lui ;
– Rembourser la drogue offerte ;
– Contribuer aux dépenses communes ;
– Compenser les cadeaux offerts ;
– Rester en vie.
Rien n’est laissé au hasard dans ce type de relation et toutes les techniques possibles (violence physique, psychologique, sexuelle et économique) sont au rendez-vous :
– Mentir à sa victime en lui promettant des cadeaux ou des récompenses ;
– Manipuler sa victime en se montrant vulnérable et démuni, cherchant à recevoir son soutien, d’abord moral et ensuite financier ;
– Faire croire à sa victime qu’il est follement amoureux d’elle ;
– Faire du chantage ou menacer verbalement sa victime ;
– Emprunter de l’argent au nom de sa victime ;
– Amener sa victime à commettre des actes criminels pour mieux la manipuler par la suite ;
– Dominer sa victime en la menaçant physiquement ou en la frappant ;
– Menacer de s’en prendre aux membres de la famille de sa victime ;
– Faire subir des agressions sexuelles à sa victime ;
– Séquestrer sa victime, la priver de nourriture ou de vêtements pour mieux la contrôler ;
– Obliger la personne à consommer de l’alcool, des drogues ou des médicaments pour la désorienter ;
– Profiter du statut d’immigrant illégal de la victime pour la manipuler ;
– Confisquer les pièces d’identité de la personne pour la limiter dans ses déplacements ;
– Isoler la personne pour couper tous les liens extérieurs ;
– Etc.
Voilà des caractéristiques qui définissent à merveille le réel portrait du proxénète. Ce sont des gens sans scrupule et infâmes qui ne méritent aucune place dans l’industrie.
Cela dit, l’objectif ici n’est pas d’encourager les femmes à travailler dans l’industrie du sexe, pas plus que de les en dissuader. Comme je le mentionnais plus tôt, cette industrie ne manquera jamais de relève et rien ne changera ça, pas même la politique.
Mon but est plutôt de faire la lumière sur la corrélation entre la sexualité des femmes, encore aujourd’hui marquée par des siècles de répression, et notre façon d’envisager le travail du sexe.
Les femmes comme les hommes ne voient pas d’intérêt à déstigmatiser le travail du sexe. Pour la femme, la prostituée est un peu comme une rivale et une entrave au féminisme. Pour l’homme, cette stigmatisation alimente souvent son sentiment de supériorité et, parfois, par le fait même, son excitation sexuelle.
Ce n’est pas sans raison si l’industrie recherche en général des femmes jeunes, fraîches et naïves. En matière de sexualité, on ne peut le nier, l’innocence et la naïveté rapportent gros. J’ai d’ailleurs moi-même fait le test à plusieurs reprises alors que je travaillais comme danseuse érotique.
Comme je disais, lorsque j’étais au début de la vingtaine, j’avais déjà fait l’acquisition d’une maison, d’une voiture neuve et de tous mes meubles grâce aux recettes générées par ce travail. Les clients me demandaient souvent, d’un air un peu amusé, ce que je comptais faire de ma vie et de mon argent dans l’avenir. J’ai appris rapidement que j’avais intérêt à ne pas en faire mention. Quand un client me posait cette question et que je répondais que je profitais tout simplement de la vie et de ma jeunesse sans trop me soucier de l’avenir, de nombreux clients retenaient mes services. Mais dès que je faisais allusion au fait que j’avais déjà une maison, une voiture neuve entièrement payée et que je comptais investir dans une petite entreprise, bon nombre de clients semblaient tout à coup bien moins intéressés.
La raison est simple, c’est que je donnais l’impression d’être là seulement par intérêt financier, ce qui semblait leur donner l’impression de faire profiter d’eux, de se faire flouer. D’ailleurs, les clients ne se gênaient pas pour me le faire savoir puisqu’on m’accusait aussitôt de ne vouloir que leur argent. Évidemment, c’était pour eux beaucoup moins excitant qu’une femme dont le seul objectif est de s’amuser. En somme, une travailleuse du sexe confiante, forte, avertie et économe est certes largement moins affriolante.
De leur côté, les femmes ne voient pas non plus d’avantages à soutenir les travailleuses du sexe puisqu’elles n’ont aucun intérêt à savoir leur mari dans les bras de celles-ci. La réalité est que leur déstigmatisation n’y changera rien. Les hommes qui ont l’habitude ou l’envie de faire appel à une escorte, une danseuse ou une masseuse le feront d’une manière ou d’une autre. Il y aura toujours des clients.
Puis, il y a ceux et celles pour qui la prostituée encourage l’image de la femme-objet et nuit au féminisme. Seulement, c’est tout le contraire qui se produit. Notre acharnement à stigmatiser et à noircir l’image de la travailleuse du sexe ne fait que conforter l’image de la femme-objet. Cela ne fait que garder ces femmes en position d’infériorité, de faiblesse, de servitude et, par conséquent, d’insécurité financière. Plutôt que d’en faire des femmes fortes à la sexualité affranchie, nous en avons fait de véritables esclaves sexuelles.
Seule une femme forte, avertie, confiante et bien dans sa tête et son corps réussira à prospérer dans ce milieu. Mais de quelle façon y parvenir avec de telles contraintes ? La prostitution n’est pas de la violence envers les femmes, c’est notre hypocrisie envers elles en tant que société qui l’est. C’est de la violence psychologique, une torture mentale même !
Ainsi, l’androcentrisme a fait son chemin. De ce fait, nombreuses sont les femmes qui ont fini par croire que le rôle sexuel qu’on leur a socialement attribué est immuable et naturel. Ce qui fait en sorte que, pour bien des féministes, la travailleuse du sexe dérange puisque sa sexualité déroge de ce que devrait être une éthique sexuelle féminine
« acceptable ». Les travailleuses du sexe nuisent à la conception qu’ont les féministes de la femme «qui se respecte». Pour plusieurs d’entre elles, une femme ayant une vie sexuelle honorable est avant tout une femme dont la morale sexuelle ne s’apparente pas à celle accordée aux hommes.
En réalité, il y a une marge importante entre ce qui a reçu l’approbation féministe et ce qui éveille réellement le désir sexuel des femmes. Tant que nous ne serons pas en mesure d’en prendre conscience, le féminisme demeurera incomplet. Ainsi, une femme qui aurait eu une attitude « malsaine » et « dévergondée » à l’égard des hommes (c’est-à-dire une attitude séductrice et entreprenante tout à fait banale pour un homme, mais qui ne peut être que
« malsaine » et « dévergondée » pour une femme…) risque grandement d’être blâmée et devenir la cible de violentes insultes.
Si déjà une femme qui se prostitue projette l’image d’une salope, alors quelle image projettera celles qui oseraient révéler parfois y prendre plaisir ?
Ressentir de l’excitation à faire ce travail devient alors doublement déviant aux yeux de la société. Pour l’homme, il est normal d’exprimer sa sexualité de cette façon. Il a le droit de retirer du plaisir de ces actes purement sexuels, c’est dans sa nature. C’est pourquoi il n’y a que des femmes faciles et aucun homme facile, ils ne s’en cachent pas. Au contraire de l’homme, comme je le mentionnais plus tôt, les femmes, elles, doivent se préserver, n’accepter le sexe que s’il s’accompagne de liens. Elles doivent avoir des fantasmes qui ne relèvent pas de la sexualité elle-même, mais plutôt de l’amour et du romantisme. Les travailleuses du sexe ne font pas, quant à elle, exception à ces conventions sociales.
Qu’elles soient travailleuses du sexe ou non, toutes les femmes sont soumises à peu près aux mêmes attentes de la société et aux mêmes mœurs. Qu’on le veuille ou non, le désir féminin est policé et demeure soumis à un bien plus grand contrôle social que la sexualité des hommes et l’étiquette de « pute » sert d’outil de contrôle sociosexuel.
Elles se font principalement traiter de « putes » lorsqu’elles expriment une certaine autonomie sexuelle (avoir plusieurs partenaires sexuels, mettre fin à une relation, accepter d’avoir une relation sexuelle le premier soir ou lorsqu’elles sont habillées de manière sexy ou féminine). Deux significations contradictoires de « pute » ont été présentées, soit celle de la prostituée de rue et celle de la femme forte et indépendante.
Malgré les normes rigides qui pèsent sur les femmes, elles expriment une certaine agentivité lorsqu’il est question de sexualité. Toutefois, elles doivent naviguer dans une tension entre leur propre désir sexuel et le contrôle social de leur sexualité. Pour une femme, avoir du plaisir au sein d’une relation purement sexuelle, qu’elle soit dans le cadre de la prostitution ou non, est encore difficilement admissible. La femme qui avouera ouvertement avoir eu un orgasme lors d’une relation sexuelle dans le cadre de la prostitution risque grandement d’engendrer le mépris des autres femmes et même celui de certaines travailleuses du sexe. Elle nuit à l’image des femmes. La culpabilité est de mise, pas le plaisir !
Ainsi, ce n’est plus seulement l’image que la prostituée projette qui risque d’être ternie, mais aussi l’image qu’elle a d’elle-même. Le plaisir a simplement été proscrit et gare à celles qui oseraient faire fi de ces normes sociales.
Aucun sexe n’est en réalité plus fort que l’autre. La seule différence est qu’il n’y en a qu’un qui semble avoir le droit d’exprimer ouvertement sa sexualité de manière explicite sans être obligé de faire face aux jugements de la société.
Cet « interdit » de prendre plaisir (pour les femmes) à l’acte sexuel dans le cadre de la prostitution est si présent dans notre culture qu’il se perpétue également dans la conception qu’elles ont de leur propre métier. Le plaisir étant perçu comme le sommet de la disgrâce, même pour les prostituées elles-mêmes, il ne sera pas une mince tâche de séparer le bon grain de l’ivraie.
Dans le but d’être exemptées de cette image de femme déchue, la plupart des travailleuses du sexe nieront (consciemment ou inconsciemment) toute trace de volupté. N’est-ce pas un mécanisme de défense tout à fait naturel lorsqu’on est stigmatisé par le monde entier ?
L’étiquette de femme déchue attribuée à la prostituée est déjà assez lourde en soi sans qu’elle ait à supporter le jugement de leurs consœurs en plus.
Ainsi, on peut difficilement envisager qu’une femme puisse avoir un certain plaisir à faire ce métier. C’est, entre autres, ce qui nous mène à penser que la prostitution est antiféministe, voire de la violence faite aux femmes.
Comment pourraient-elles retirer une quelconque forme de bien-être à être constamment critiquées, rejetées et condamnées par la majorité des gens ?
Pourtant, il peut y avoir quelque chose de très excitant dans le fait d’avoir une relation sexuelle avec un inconnu qui est là seulement pour le sexe et que l’on ne reverra sans doute jamais.
Meredith L. Chivers, psychologue clinicienne et chercheuse en sexologie à l’Université de Queen’s, à Kingston en Ontario, explore depuis plus de vingt ans ce terrain jusque-là boudé par la science : l’appétit sexuel des femmes. Ses découvertes fascinantes ont su mettre en lumière plusieurs facettes de la sexualité féminine, et font parler d’elles partout dans le monde.
Alors qu’elle a exploré la sexualité masculine de fond en comble, la science ne sait presque rien sur celle des femmes. Croyez-le ou non, ce champ de recherche n’avait presque jamais été exploré sur le plan scientifique il y a vingt ans à peine. C’est dire à quel point nous ne sommes pas au bout de nos découvertes.
Qu’une femme puisse ressentir de l’excitation sexuelle avec un étranger pour lequel elle n’a aucun sentiment est encore difficile à concevoir dans nos sociétés.
Nous avons une propension à croire que ce type de femme n’est qu’une exception, une sorte de fantasme intermittent et négligeable chez la plupart des femmes. L’idée selon laquelle la sexualité féminine ne peut s’épanouir que dans le lien émotionnel et dans l’intimité programmée est encore profondément enracinée dans la psyché humaine. Pourtant, les résultats des recherches scientifiques de Chivers nous prouvent désormais le contraire. Les résultats sont sans équivoque ; que l’on soit homme ou femme, les tests qui mettent en scène « un inconnu » s’avèrent être parmi les plus excitants. Ce qui tord le cou aux idées reçues, aux conventions sociales qui veulent que la femme soit « programmée pour la monogamie », qu’elle soit sentimentale et fasse passer ses émotions avant ses pulsions. Par des moyens divers, à partir de leurs différents travaux en laboratoire, clinique sur le terrain, en sessions de thérapie et dans le milieu naturel, plusieurs chercheurs battent en brèche les idées reçues à propos des femmes, de leur sexualité et de l’invariabilité.
Pourtant, il nous faudra sans doute encore bien du temps pour comprendre qu’une femme n’est en rien le « sexe faible », et que les femmes elles-mêmes l’acceptent et s’autorisent à vivre pleinement leurs désirs.