CHAPITRE 6
Ainsi, le mouvement féministe semble avoir atteint le but de ce pour quoi il a été créé. Nombreuses sont les femmes qui ont aujourd’hui le droit d’être considérées comme des personnes, et ce, dans plusieurs pays. Mais soyons réaliste, 60 ans de combat pour les droits de la femme et 50 ans pour sa libération sexuelle sont-ils réellement significatifs au regard de 2000 ans d’histoire et d’oppression sexuelle ?
Depuis presque toujours, on a fait des plaisirs charnels un « péché ». Nous avons rejeté le sexe et la femme du côté du diable. Avec un tel passé d’humanité, alors même que l’organisation patriarcale est encore très marquée sur la moitié de la planète, comment les croyances qui en sont les fondements pourraient-elles avoir disparu des inconscients ? Comment peut-on croire qu’il ne reste aucune séquelle ?
Mariage forcé des femmes et des fillettes, crimes d’honneur, féminicides, obligation du port du voile intégral, lapidation, travail forcé, esclavagisme sexuel, viols conjugaux, mutilations génitales, attaques à l’acide, malnutrition comme forme de punition, violences physiques, sexuelles, psychologiques, verbales et économiques n’ont pourtant rien d’obsolète.
Plus insidieux encore, l’accès inégal au marché du travail, le partage inéquitable des tâches domestiques, la discrimination au travail, le manque d’accès à l’éducation, la disparité des salaires ; les violences faites aux femmes existent encore dans toutes les parties du monde.
Qu’elles soient causées par les États, les institutions ou qu’elles se produisent au sein de groupes familiaux et communautaires, ces inégalités et autres violations des droits fondamentaux persistent dans le monde entier. C’est un véritable fléau à l’échelle mondial ! La violence faite aux femmes sévit dans toutes les catégories sociales, économiques et culturelles, en milieu urbain ou rural, et ce, quel que soit le contexte éducatif ou religieux. Et, dans certains pays, ces droits reculent.
La féministe d’aujourd’hui a d’ailleurs de nombreux visages. Une lesbienne frustrée, une femme qui n’aime pas les hommes ou qui veut les contrôler. Les hommes comme les femmes ont souvent cette image en tête lorsqu’ils pensent au féminisme.
La définition du mot « matriarcat » dans le dictionnaire (lui-même construit sur le modèle de patriarcat) se lit d’ailleurs comme suit : « On pourrait prévoir l’avènement d’une société matriarcale où les hommes seraient réduits à des jouets destinés au seul plaisir des femmes. » L’homme et même la femme ont été conditionnés à se méfier de la féministe.
Je crois d’ailleurs que le terme « féminisme » est très mal choisi. Le terme « féminisme » lui-même renforce cette image puisqu’il n’implique que le féminin bien qu’il promeut au contraire l’égalité entre l’homme et la femme. Il féminise son objectif qui est pourtant aussi très masculin. Avec le féminisme se joue l’émancipation des femmes, mais aussi celle des hommes. Pourtant, très peu d’hommes se considèrent comme féministes. Il vaudrait donc mieux parler d’« humanisme » plutôt que de féministe puisque ce terme donne l’impression de n’être profitable que pour elles, ce qui ne reflète pas la réalité. Je suis moi-même tout ce qu’il y a de plus féministe. Pourtant, je n’ai aucune envie de faire référence au féminisme alors qu’il promeut le masculin et le féminin comme deux unités unies (un a priori ou en devenir) alors que ce n’en est qu’une.
Notre appréhension du monde étant basée sur la différence des genres et la périodicité des contraires, il ne sera pas simple d’écarter l’influence de ces principes complémentaires et opposés de notre mode de pensée.
Depuis le début du monde, semble-t-il, l’être humain se retrouve face à la dichotomie incarnée par la différence des sexes et solidifiée par de nombreuses autres dyades telles que le bien et le mal, le vieux et le jeune, le haut et le bas, le sec et le mouillé, le jour et la nuit, le beau et le laid, le noir et le blanc, etc. Depuis toujours, le concept de la dualité conditionne la pensée humaine. Il n’y a pas de place pour les demi-teintes, c’est la loi du tout ou rien.
En Occident, nous avons tous été plus ou moins influencés par cette forme de pensée. Elle s’exprime à toutes sortes de niveaux, notamment dans notre façon d’envisager le monde, dans nos prises de décision et notre quotidien en général. Cette modalité de pensée binaire est ancrée dans notre patrimoine culturel depuis des milliers d’années. Cependant, cette logique bivalente réduit grandement nos raisonnements. En supprimant la complexité du réel, la pensée binaire nous amène vers des solutions d’une logique tout aussi simpliste et donc facilement acceptée, souvent à tort, par une nette majorité de la population. Dans le but de rallier le plus grand nombre possible dans leurs rangs, nombreux sont les dirigeants et les grands penseurs qui ont abusé de ce genre de raisonnement simpliste au cours de l’histoire.
Selon cette logique binaire, nous sommes donc psychologiquement homme ou femme. Ainsi, nous sommes dans l’obligation de nous identifier soit à l’un, soit à l’autre. La possibilité d’éluder les classements selon les genres et ainsi désactiver le schème de pensée binaire devient alors presque impossible. Pourtant, le fait de s’identifier uniquement aux stéréotypes féminins pour une femme et aux principes masculins pour un homme constitue un empêchement important au développement de la personnalité. En niant ainsi les spécificités associées à l’autre sexe, c’est une partie de nous-mêmes que nous nions. L’exposition répétée à des inconsistances entre l’unicité de soi (découlant de la fusion) et les rôles sociaux (qui suscitent la dichotomie) risque de se faire au détriment du bien-être individuel.
« Nous sommes nés uniques, et la stéréotypie sexuelle ne peut que nous amoindrir » (Warren, 1982).
Bien sûr, on ne peut le nier, à la naissance, garçons et filles présentent des différences biologiques évidentes. L’anatomie des organes génitaux, les hormones, le fonctionnement neuronal du cerveau, etc.) présentent des différences selon le sexe auquel on appartient. Il y a donc à la fois de l’inné et de l’acquis dans le creuset de l’identité sexuelle, des limitations qui dépendent de l’organisme et d’autres qui sont conditionnés par la culture. Quelle est la part de l’un et de l’autre ? Ce phénomène n’est pas quantifiable puisque ces limitations ne s’articulent tout simplement pas de la même façon pour chaque personne.
Le genre comme le stéréotype sont des notions ambiguës et équivoques. D’une part, le concept de genre met l’accent sur le principe de division et de catégorisation ; d’autre part, sur la classification et la hiérarchisation. La génération Z semble d’ailleurs l’avoir compris. S’il y a un domaine dans lequel ils opèrent une véritable révolution, c’est bien celui du genre et de l’orientation sexuelle.
Ce n’est pas d’hier que les chercheurs s’y intéressent, et ce, partout dans le monde. La question du genre est un enjeu à la fois social et politique qui interroge sur les moyens de combattre les stéréotypes porteurs d’inégalités entre les hommes et les femmes. Pourtant, les recherches classiques portant sur les différences des sexes semblent avoir eu pour effet d’accentuer ces différences et de sous-estimer les différences entre hommes eux-mêmes et entre femmes elles-mêmes alors qu’elles sont pourtant loin d’être négligeables.
« Nombreuses sont les sociétés qui œuvrent à nous persuader que le genre est indispensable à leur bon fonctionnement. Dans une société dont l’évolution inquiète, certaines personnes traditionalistes craignent un chamboulement de “ l’ordre des genres ”. Ces personnes ont ainsi tendance à vouloir se raccrocher à ce qui ne change pas en cherchant dans la nature et dans l’idée que l’humanité est naturellement divisée en deux groupes, donnant une impression de stabilité dans un monde de moins en moins stable » (Éric Fassin, sociologue).
Pourtant, les stéréotypes de genre sont des caractéristiques arbitraires (fondées sur des idées préconçues) que l’on attribue à un groupe de personnes en fonction de leur sexe. Les attitudes sexistes trouvent d’ailleurs essentiellement leurs sources dans la construction sociale du genre et la transmission de préjugés et de stéréotypes basés sur la différence biologique (le sexe) qui existe entre les hommes et les femmes. C’est principalement cette différence biologique qui soutient ce processus de différenciation entre le masculin et le féminin.
Seulement, il y a toute une différence entre les sexes masculin, féminin et le sexe social, ainsi que le genre masculin et féminin. Nous sommes ce que l’on a appris à être en tant qu’homme ou femme. Le sexe est déterminé intra-utérin, mais les sexes-rôles demeurent un construit social. En fait, ce qui contribue essentiellement à distinguer l’homme de la femme, dans leur esprit et leur comportement, prend sa source dans la culture et l’éducation. Autrement dit, les différences d’attitudes que l’on observe entre les sexes ne sont pas innées, mais plutôt acquises. Mettre en évidence cette distinction est fondamental dans cette quête du savoir et de la liberté. C’est la société qui est à la base de la hiérarchie entre les sexes. Tant que notre définition d’un « vrai homme » et d’une « vraie femme » se limitera aux stéréotypes qui leur sont actuellement attribués, la recherche obstinée de la paix demeurera une vaine entreprise.
Les stéréotypes de genre constituent un sérieux obstacle à la réalisation d’une véritable égalité entre les femmes et les hommes et ils favorisent la discrimination fondée sur le genre. Ce sont des idées préconçues qui assignent arbitrairement aux femmes et aux hommes des rôles déterminés et bornés par leur sexe. Un homme physiquement faible, doux, sensible et qui ose dévoiler au grand jour ses sentiments, sans contenir ses larmes, reste biologiquement un homme. Si bien que la femme au cœur dur et sans compassion demeurera fondamentalement une femme. Pour reprendre cette phrase devenue emblématique de Simone de Beauvoir « On ne naît pas femme, on le devient ». Je dirai « On ne naît pas femme ni homme, on le devient. »
Les stéréotypes sont des représentations simplifiées, déformées et rigides qui ne servent qu’à justifier ces discriminations ainsi qu’à légitimer et maintenir la domination historique des hommes sur les femmes. Qu’on le veuille ou non, les stéréotypes sexistes peuvent limiter le développement de nos talents et de nos capacités naturels. Ils influencent nos comportements souvent de façon inconsciente.
Par conséquent, lorsqu’on se retrouve dans une situation de désapprobation sociale pour n’avoir pas exprimé les traits attendus en fonction de notre sexe, on peut rapidement se sentir forcé de changer notre comportement. Sans quoi, nous risquons d’être confrontés au rejet de ceux qui ne les approuvent pas ; et c’est d’autant plus vrai pour les générations X et Y. Quand on pense qu’il n’y a pas si longtemps encore la binarité des genres semblait la seule option, difficile de faire fi de ces stéréotypes alors qu’ils sont déjà enracinés depuis l’enfance.
Heureusement, nous vivons dans une société de plus en plus inclusive. Nous avons fait un bout de chemin en ce qui concerne la reconnaissance des différentes identités sexuelles et de genres : homosexuel, bisexuel, pansexuel, trans, cisgenre, nonbinaire (genre neutre, non genré), agenre, bigenre, trigenre, polygenre, demigenre, bispirituel, etc. Bien que nous ayons encore beaucoup de travail en perspective avant de parvenir à une acceptation et une inclusion totale, la communauté LGBTQ+ connaît tout de même d’importantes avancées depuis plusieurs années. Explorer son orientation sexuelle, s’affranchir des notions binaires de genre et remettre en question les traditions hétéronormées. Lorsqu’il est question d’amour et de sexualité, mais aussi d’expression et d’identité de genre, les codes se bousculent. À l’heure actuelle, l’éducation non genrée, du moins une éducation consciente de la toxicité des stéréotypes de genre, gagne de plus en plus de terrain. Et si, pour certains, tout cela s’apparente à une mode éphémère (surtout pour les générations antérieures), je crois que ce n’est pas du tout le cas, du moins je l’espère !
Seulement, rien n’est encore gagné lorsqu’il s’agit de remettre en question les stéréotypes de genre.
Où en sommes-nous quant à l’acceptation de ces individus qui assument pleinement le sexe qui leur est assigné à la naissance ? Ces hommes et ces femmes qui peu importe leur apparence ou leur style vestimentaire, qu’ils soient hétérosexuels ou autres, refusent d’être confinés au rôle sexué qu’on leur a culturellement attribué ?
Qu’en est-il de ceux et celles qui, malgré les normes rigides qui pèsent sur eux, cultivent ces qualités associées au sexe opposé ? Ceux qui, à leur façon, transcendent le masculin et le féminin, effacent leurs spécificités et leurs frontières, surpassant ainsi les normes sociales et culturelles ?
Qu’en est-il de ces êtres humains qui réalisent la symbiose des qualités sexuées, qui intègre les tempéraments de manière harmonieuse et qui prône ainsi un esprit de réconciliation dans les relations sociales entre les sexes ?
Ont-ils réellement leur place dans ce monde qui s’acharne à déterminer l’identité des gens selon leurs organes génitaux ?
Ont-ils le droit d’exister dans cette société où les comportements et les attributs de personnalité ne cessent d’être sexués ?
Ainsi, malgré d’évidentes avancées en matière d’identités sexuelles et de genres, reste que l’homme hétérosexuel féminin, l’homme qui assume ouvertement sa féminité intérieure, demeure encore fréquemment associé à l’homosexualité ou encore à la non-binarité. Bien que ces hommes ne se soient pas féminisés, mais plutôt humanisés, libérés du carcan genré de la société, nous avons de la difficulté à le considérer comme tel.
En effet, encore en 2025, il n’est pas rare qu’un homme hétérosexuel ayant un comportement se rapprochant de la norme dite « féminine » soit moqué, mis de côté et perçu comme étant homosexuel. Et, bien que l’on s’entende sur le fait qu’il est possible d’être à la fois hétérosexuel et non binaire, ce terme est de toute évidence très mal choisi. L’homosexualité et la non-binarité étant directement liées à la communauté LGBTQ+, nous sommes ainsi amenés à croire que ce sont des gens d’une classe à part, qu’ils échappent à la norme, qu’ils font partie d’une minorité alors que, dans les faits, ils n’ont pourtant rien d’une exception.
De plus, les sigles « LGBTQ+ » étant utilisés pour qualifier les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queers, intersexes et asexuelles, c’est-à-dire pour désigner les personnes non-hétérosexuelles, non cisgenres ou non dyadiques, il peut être d’autant plus difficile pour ces individus de s’accepter. Être associé à un terme qui ne nous représente pas peut s’avérer très ardu à endosser.
Quoi qu’il en soit, si nous faisons le choix de les accueillir, c’est pour aller au-delà des oppositions et envisager une ère où nous pourrions penser autrement nos différences. Seulement, ils peuvent difficilement s’intégrer au sein d’une société où l’homme et la femme ne font que se conformer aux stéréotypes de masculinité et de féminité. Notre difficulté à les reconnaître et leur donner le crédit qui leur revient me semble attribuable à l’impraticabilité de l’idéal de fusion dans une société qui s’obstine à proposer des comportements et des rôles sexués. Ils ne peuvent s’épanouir que dans le seul contexte où hommes et femmes optimiseraient pleinement leur potentiel sans égard à toute différenciation. Ils pourront ainsi se développer pleinement s’ils ne sont pas constamment confrontés aux pressions dictant la conformité à des comportements appropriés.
Notre monde étant profondément binaire et patriarcal, il ne sera pas simple de transcender toute dualité des sexes et dépasser la dichotomie entre le masculin et le féminin. Il y a pourtant, entre ces typologies, une pléiade de possibilités d’être. Cette vision bipolaire conduit à l’appauvrissement et au discrédit de la diversité. La binarité des sexes ne rend pas compte de la diversité réelle.
En vérité, que l’on soit homme ou femme, chaque personnalité est unique. En somme, les facteurs qui déterminent notre monde sont nombreux et complexes. Tout n’est pas blanc ou noir, bien ou mal et vrai ou faux. Le monde est fait d’infinies nuances de gris et de vérités partielles. Il y a si longtemps que perdure le combat entre les énergies masculine et féminine qu’elles nous paraissent aujourd’hui comme des forces opposées, tels le bien et le mal.
Le principe même des polarités mène indubitablement à l’illusion de la séparation. Ces énergies sont pourtant deux aspects d’un tout. Elles ne sont donc pas réellement opposées, elles ne font qu’un. Le masculin et le féminin dépendent l’un de l’autre. Lorsqu’ils sont en guerre, ce sont les deux qui en paient le prix. Cela se produit quand un principe, féminin ou masculin, est avantagé aux dépens de l’autre. Les conséquences que cela provoque ont non seulement une répercussion sur le plan individuel, mais aussi sur le plan social et environnemental. La reconnexion des hommes avec leur part féminine, ainsi que celle des femmes avec leur part masculine, constitue une partie essentielle de la solution. Jamais nous ne pourrons guérir la nature humaine que si elle recouvre son autre moitié, son harmonie originelle.
Les problèmes environnementaux découlent d’ailleurs, en bonne partie, du fait que la nature a été associée à la polarité féminine. Selon les valeurs attribuées au féminin dans les cultures patriarcales, elles doivent être domptées, soumises et exploitées. On a constamment tenté de leur soutirer de force ce qui nous faisait envie. De la même façon que la nature, les femmes ont été utilisées, bafouées et réduites en esclavage. Elles ont aussi été privées de jouissance : excisées, infibulées, violentées, enfermées dans des couvents ou des harems, réduites au silence, suppliantes, tremblantes, dans l’attente de jours meilleurs.
Les conséquences de cette hiérarchie des sexes sont extrêmement lourdes. Dans les sociétés où le féminin a été terni et relégué au second plan, l’homme comme la femme souffre profondément de cette guerre entre les sexes. Comme si chacun était tronqué, amputé de la moitié de lui-même.
Le fait d’avoir perdu toute forme de communication avec la nature féminine de son être (pour un homme), ainsi que la nature masculine de son être (pour une femme), conduit toute personne à des excès d’actions extérieures et à un esprit toujours stimulé par la compétition, la performance, la surconsommation et la destruction.
Presque entièrement déshumanisés, nous agissons alors comme de simples automates, dont le destin ne se résume qu’à accroître les bénéfices et le pouvoir de ceux qui occupent la tête de la hiérarchie mondiale.
« Le masculin en chaque être se doit d’accueillir et de respecter le féminin et vice versa dans le but d’un accomplissement complémentaire. L’évolution de l’un passe systématiquement par l’évolution de l’autre. Ainsi, jamais faire coïncider “ actif ” et masculin, puis “ passif ” et féminin n’apportera aucune connaissance nouvelle » (Par-delà le masculin et le féminin de Claude Lévesque).
Un « vrai » homme doit être fort, courageux, cacher ses émotions, être audacieux, presque agressif et affirmer sa personnalité. L’hypermasculinité reprend fréquemment les attributs de la bestialité. Il ne pleure jamais ou presque. Faute de ne pouvoir s’exprimer avec des mots, comment faire autrement que de s’exprimer avec ses poings ? Que l’on soit homme ou femme, refouler ses sentiments finit souvent par mener à la violence.
Les vidéoclips et les films mettant en scène des hommes armés et à l’air confiant, faisant toutes sortes de cascades plus dangereuses les unes que les autres, témoignent bien de ce que l’on attend d’un homme. Les quelques millénaires de patriarcat ont valorisé à l’excès les valeurs masculines, tout en dénigrant les valeurs féminines. L’homme a donc intégré que, pour être un homme véritable, il devait nier la part de féminin en lui. Être un homme, c’est en effet avant tout ne pas être une femme ; surtout pas un « efféminé ». L’homme a appris à ignorer son côté féminin, tout comme la femme a appris à ignorer son côté masculin.
Notre société valorise et encourage fortement cette image de l’homme que l’on dit viril. Cela peut donc être très ardu pour celui-ci de se distancier de ce que la société attend de lui, de l’ensemble des éléments reconnus comme devant être le propre des hommes. Il est compliqué pour l’homme d’assumer et d’accepter cette part de féminin enracinée en lui alors que toute son éducation le pousse à la considérer comme méprisable. Pourquoi se laisserait-il aller à son côté féminin si c’est dévalorisé à ce point ?
Ce que nous dicte la société a un énorme impact sur notre conduite et sur notre façon d’appréhender le monde. Nombreuses sont les conséquences de cette idéologie du genre, et si plusieurs hommes souffrent en silence, ce n’est pas sans raison.
Un homme qui se fait violer par un autre homme (d’autant plus s’il est hétérosexuel) osera-t-il dénoncer son agresseur ?
Celui qui se fait battre ou abuser psychologiquement par sa femme atil les mêmes droits que celle-ci ?
Sera-t-il pris autant au sérieux ?
Osera-t-il même en parler dans cette société ou sensibilité et masculinité font chambre à part depuis des siècles ?
Alors que la violence conjugale envers les femmes suscite la compassion et la sensibilité, c’est souvent l’inverse qui se produit lorsqu’il s’agit d’un homme.
Le harcèlement sexuel ainsi que la violence physique et psychologique des femmes envers les hommes existent pourtant bel et bien. Ils sont si banalisés et sous-estimés qu’ils provoquent souvent la moquerie et l’incompréhension. C’est pourtant une réalité beaucoup plus criante qu’elle n’y paraît. Les femmes peuvent aussi parfois faire preuve de beaucoup d’agressivité et d’une grande méchanceté à l’égard de leur mari ou leur conjoint. Les violences sexuelles et conjugales faites aux hommes demeurent un tabou persistant.
Cela ne correspond pas à l’image de la masculinité. Les hommes étant considérés la plupart du temps comme des êtres dominants et sexuellement impénétrables, le viol d’un homme transgresse les normes relatives au genre et véhicule des connotations émasculantes et stigmatisantes. C’est assurément la honte à son paroxysme pour lui, de quoi même remettre en question sa propre masculinité. Les femmes qui dénonce, gagnent un réseau ; des associations autour d’elles vont les défendre, leur venir en aide. Les hommes, lorsqu’ils sont victimes de violence physique, psychologique ou sexuelle, perdent un statut… un statut d’homme.
Les violences sexuelles faites aux hommes en temps de guerre, à l’intérieur des murs d’une prison, à la maison ou autres, sont enracinées dans un préjugé plus large. Par conséquent, l’éducation est impérative pour combattre ces normes sociétales archaïques. C’est seulement quand on admettra qu’un homme peut être violé et violenté que la stigmatisation pourra diminuer. La négation de cette réalité ne fait qu’alimenter la culture de la honte et du silence et elle conforte simultanément cette espèce de masculinité toxique. Cette réalité est d’autant plus vraie dans le domaine des sports.
« C’est que le phallocentrisme, sans afficher son vrai visage, continue de régir le monde actuel. La domination masculine reste universelle. La différence sexuelle est à l’origine de toute pensée et reste soumise, encore aujourd’hui, à une idéologie elle-même subordonnée à la logique oppositionnelle qui régit tous les champs de la connaissance. La version masculine de la différence sexuelle s’affirme partout incontestée : en philosophie, en psychologie ou en sociologie, aussi bien que dans la théorie et la pratique de la psychanalyse. Nous sommes tous soumis d’une manière ou d’une autre, à la logique binaire du phallocentrisme : notre corps, notre sexualité, nos affects, notre mémoire, notre langage, notre culture ont, dans une large mesure, été façonnés » (La domination masculine, Pierre Bourdieu, sociologue).
La domination masculine est si persistante, si ancrée dans notre culture, notre histoire et notre quotidien, qu’elle nous apparaît naturelle. Le poids de la famille, de l’école, de l’église, des médias et de l’état veille à ne pas troubler l’héritage occidental et à poursuivre le travail de reproduction des vieux schémas patriarcaux. L’homme se doit donc d’entretenir cette image, sous peine de ne plus être considéré comme un homme, « un vrai » ! Tandis que les femmes, elles, doivent au contraire se montrer fragiles, douces, serviables, attentionnées et même faibles.
Le sexisme n’est pas uniquement une question d’égalité salariale, ce n’est pas seulement les lois discriminatoires ou la place des femmes dans les postes de pouvoir. Le sexisme, c’est aussi cette façon sournoise et dissuasive avec laquelle on tend à garder chacun des sexes dans des rôles qui ne leur conviennent qu’à moitié. Tout aussi simplistes que dangereux, les stéréotypes de féminité et de masculinité mènent à avoir des visions extrêmement réductrices du rôle de l’homme et de la femme dans notre société. Ce qui, conséquemment, nous prive de multiples talents et de découvertes pourtant essentielles à la création d’un monde meilleur.
Bien que les mœurs puissent être très différentes d’une société à une autre, la manière d’agir et de penser de la quasi-totalité des individus est conforme aux normes de leur groupe social. Cela traduit l’influence majeure et structurante du contexte culturel sur notre manière d’être.
Qu’on le veuille ou non, notre esprit est vulnérable et nous sommes tous (à quelques exceptions près) soumis à l’autorité. Dès notre plus jeune âge, nous sommes conditionnés à obéir aux règles et à nous conformer aux diverses conventions sociales.
« Ce monde n’a pas qu’inventé le prêt-à-porter, il est aussi l’auteur du prêt-à-penser. »
–Pierre Bourdieu, Sociologue Français
Heureusement, depuis le XIXe et le XXe siècle, l’énergie féminine retrouve graduellement sa force, et ce, malgré l’inégalité des sexes encore très marquée dans nos sociétés. Seulement, comme je disais, ce n’est qu’en coopérant que cette unité mystique que sont le masculin et le féminin pourra acquérir tout leur potentiel. Conformément à l’histoire, le mystère de la nature féminine, l’éternel féminin, a toujours fasciné. Il a aussi dérangé et même terrifié, alors que la véritable énigme se trouve en nous.
Derrière le sexisme, le machisme ou la misogynie, c’est fondamentalement la peur du féminin qui est à l’œuvre. La peur primaire du féminin existe depuis des millénaires dans l’inconscient collectif des hommes. Elle est présente dans la majorité des cultures sous forme d’innombrables contes, mythes et légendes.
Cette crainte irrationnelle du pouvoir féminin pourrait avoir plusieurs origines se renforçant l’une et l’autre. Que cette peur soit la conséquence de cette époque où l’homme n’avait pas encore conscience de son rôle de procréateur, ou le résultat d’une éducation qui a continuellement poussé celui-ci à nier sa part de féminin en lui afin de ne pas nuire à sa virilité, reste que cette crainte (bien que souvent inconsciente) est toujours aussi vive dans nos sociétés modernes.
Selon plusieurs traditions, c’est la femme qui est porteuse du péché originel. Elle est à l’origine de la chute morale de l’homme. De tous les temps et de multiples façons, il a été rappelé à la femme de conserver une position pudique, humble et soumise. Peu importe l’histoire ou le texte religieux auquel on fait référence, la femme demeure presque irrémédiablement le personnage fautif.
De toutes les origines de la peur du féminin, la puissance sexuelle de la femme est certainement la plus présente et la plus persistante. Ce qui expliquerait d’ailleurs la ténacité de ce préjugé selon lequel le désir féminin se doit d’être contenu sans quoi nous nous exposons à un effondrement social.
La libido féminine dérange et prend même parfois l’allure d’une menace pour notre société. Dans l’inconscient collectif, le raccourci est vite fait : sexualité féminine libre et libérée = batifolage, voire désordre social. L’histoire nous a toujours poussés à croire que la femme est la gardienne de la monogamie. La monogamie serait parfaitement adaptée à la libido féminine. Les femmes sont donc censées être les alliées les plus naturelles de la norme. C’est magnifique, c’est rassurant à entendre, mais est-ce vraiment réaliste ?
À toutes les époques et sur tous les continents, l’homme a constamment cherché à réduire cette puissance sexuelle. C’est pourquoi l’histoire et la mythologie regorgent de ces antihéroïnes et de ces femmes fatales qui usent de leur charme et de leur sexualité pour piéger l’homme. Dangereuses et toujours dotées d’une laideur morale, les femmes-monstres aux appétits sexuels excessifs sont dépeintes à plusieurs époques, notamment à celles où les femmes ont gagné en droits et en indépendance.
Les premiers exemples sont : Ishtar dans l’antiquité sumérienne, de même qu’Aphrodite, Circé, Lamia, Hélène de Troie, la sirène, le Sphinx, Scylla et Clytemnestre dans la littérature de la Grèce antique, sans oublier Pandore, Jézabel, Ève ou Lilith (première femme d’Adam) ainsi que Dalila, et Salomé dans la bible judéochrétienne. Vient ensuite la figure historique égyptienne Cléopâtre, puis Yang Guifei présente dans la culture asiatique et la Fée Morgane des récits médiévaux du XIXe siècle, etc.
Vampires, méduses, sorcières, sirènes, gitanes, harpies, gorgones, etc. L’histoire, la littérature et le cinéma foisonnent de ces créatures féminines légendaires dont le seul objectif est de piéger et de perdre les hommes. Quelle que soit l’époque, les femmes fortes à la sexualité affranchie ont toujours dérangé. Si l’histoire pullule de mythes et de légendes les concernant, ce n’est pas sans raison ni conséquences.
La prostituée est l’incarnation même de l’archétype de la femme fatale. Belle, tentatrice et fortement sexuée, la femme fatale a tout en commun avec celui de la prostituée. Cette appréhension que l’on a de la femme fatale qui utilise son pouvoir érotique dans le but de tenter l’homme, et la diabolisation de la prostituée, s’inscrit parfaitement dans cette logique phallocentrique selon laquelle la puissance sexuelle féminine doit être domptée et réprimée. Face à une puissance que l’on redoute, le moyen de défense le plus évident est de tenter de museler cette puissance, de la réduire au maximum en la diabolisant et en lui faisant perdre toute confiance en sa propre valeur.
Notre perception de la prostituée n’est donc pas seulement due à sa sexualité isolée des finalités de procréation et de l’union. Au-delà de la question de la sexualité, ces jugements de valeur apparaissent comme le symptôme d’un phénomène plus large : la peur primaire du féminin existant depuis des millénaires dans l’inconscient collectif.
Entre la religion et les femmes, les relations ont toujours été paradoxales et ambivalentes. Créée à partir de l’homme et sous l’œil de Dieu, quasi exclusivement masculin, la femme a constamment été le personnage de « second plan » qui a dû porter la faute au cours de l’histoire. Les institutions religieuses ont su donner le ton en matière de sexualité. Bien que chaque religion ait sa propre histoire et sa propre éthique, la femme et la sexualité ont presque toujours été réprimées. Il n’est donc pas surprenant que les naissances miraculeuses (naissance sans conception sexuelle) ou virginales soit le pilier majeur de la constitution de toutes organisations religieuses et que Jésus, Krishna, Bouddha, Lao-tseu, Horus, Mithra, Attis de Phrygie, Dionysos, Persée, Quetzalcoalt, Zoroastre et bien d’autres soient tous nés d’une vierge ou d'un miracle. Le culte de la virginité et le dogme de l’Immaculée Conception étant établis comme vérité fondamentale, comment pourrions-nous nous affranchir de cette tache du péché originel qui, conséquemment, pèse sur toute femme ?
« La sexualité a toujours été la préoccupation première des communautés religieuses. Depuis toujours, les religions ont tenté de réguler la sexualité humaine. Elles s’en sont servies pour énoncer formellement leurs convictions et leur dogme, alimenter leurs symboles et leurs rituels, dépeindre leur expérience du sacré. Qu’il s’agisse des islamistes, des juifs orthodoxes ou des chrétiens fondamentalistes, tous les groupes religieux en font leur principale préoccupation. Tous ces croyants vivent dans un paradoxe.
Ça explique pourquoi ils font une véritable obsession du corps de la femme, qui les conduit à une ségrégation systématique. La femme est un objet de péché et d’impureté qu’il faut exclure. Puisqu’elle ne sert que de contenant à l’inestimable semence de l’homme, il n’est pas étonnant qu’elle ait été instrumentalisée en vue de la reproduction de l’espèce humaine » (Denise Bombardier).
Selon les schèmes dominants de la culture, l’identité des femmes est irrémédiablement définie par leur corps et ses fonctions. Elle se résume donc aux trois grands archétypes : celle de la vierge, de la mère et de la putain. Ces trois figures nous en disent long sur les contraintes imposées aux femmes. Elles peuvent sembler stéréotypées, mais ces stéréotypes ont toujours cours dans notre société contemporaine. La dichotomie maman versus putain demeure persistante : sexe digne contre sexe sale, sexe sain contre sexe pathologique. Ainsi, nous avons encore beaucoup de difficulté à reconnaître qu’une femme puisse être à la fois travailleuse du sexe et excellente mère.
On accorde une extrême importance au rôle de la mère, alors que ce qui se rattache à la prostitution est stigmatisé. Le sexe (sexualité et organes) est vu comme le centre identitaire de la femme. Celles qui ne l’entendent pas de cette façon sont ignorées, méprisées et dénoncées. Elles évoquent la crainte et l’incertitude. On tente constamment de vous convaincre qu’elles ne savent pas réellement ce qu’elles disent, ce qu’elles font et qu’un autre sera toujours mieux placé pour parler en leur nom. Ainsi nous manifestons sans gêne notre indignation contre la travailleuse du sexe et la fille dite « facile ». Finalement, toutes celles qui se servent de leur sexe pour faire « autre chose » que ce que l’on nous dicte.
Objet de domination, de désir, de convoitise et de peur, le corps de la femme a toujours été source de tracas et d’inquiétude pour le religieux. Le mépris de la femme est universel. Bien que chaque religion semble avoir ses propres légendes et sa propre morale, ce sont toujours les mêmes valeurs qui sont bafouées.
Si les archétypes de la femme fatale et de la Sainte Vierge sont communs à toutes les religions officielles, celle de la prostituée repentie n’y fait pas exception. Le culte de la pécheresse repentie est omniprésent dans le monde religieux. La prostituée repentante (ou non) a revêtu plusieurs visages au cours de l’histoire.
Si Marie-Madeleine était la principale sainte des prostituées, il est possible de citer aussi Afra, Thaïs et Marie l’Égyptienne, sans oublier l’histoire du Savant d’Al-Azhar et la prostituée repentie, la sainte mère Pélagie, Amrapali ou Ambapali (la prostituée repentie destinée aux bouddhistes), Rahab, Gomer, la grande prostituée de Babylone, etc. Femmes fatales, Saintes Vierges et prostituées, tous ces archétypes ont pour objectif de garder la femme dans une position de soumission et d’impuissance tout en conservant le rôle de pécheresse qui lui a toujours été imposé.
Ce n’est pas un hasard si la bible nous propose dans la représentation de Marie sa vision idéalisée de la femme, sublimée en une vierge mère privée de son sexe. Les religions officielles participent largement au maintien du rôle de soumission des femmes dans la société.
Exercer un contrôle sur la sexualité et le corps des femmes, c’est là toute l’assise des pouvoirs religieux. Ainsi reste-t-elle, à travers les siècles, perçue comme un danger pour l’humanité et l’ordre établi. La différence des sexes est le pilier de l’organisation du monde depuis des millénaires. Les religions contribuent non seulement à la création d’un écart entre l’homme et la femme, mais ont aussi pour effet de créer une distance entre l’homme et la femme en chacun de nous. En diabolisant la beauté, la sensualité et l’intuition féminine, l’homme ne semble pas réaliser qu’il diabolise ainsi son propre potentiel intérieur.
Peu importe la religion, les rapports entre celle-ci et la sexualité ont toujours été ambigus et contradictoires. Les religions, de l’islam conservateur au christianisme évangéliste en passant par le judaïsme ultra-orthodoxe, sont dans le business du contrôle de la sexualité humaine.
Bien que les scientifiques et les professionnels de la santé reconnaissent aujourd’hui tous les bienfaits d’une vie sexuelle épanouie, ce n’est toujours pas le cas des institutions religieuses qui, elles, continuent de propager la honte, le tabou et la culpabilité. La sexualité est le mouton noir des religions.
L’église rejette le corps physique pour ne donner de valeur qu’à l’âme. Elle nous impose l’idée selon laquelle l’âme se rapproche du divin alors que le corps est associé au malin (l’impureté ou la luxure). Ainsi, on ne prend plus en compte les besoins de la chair pour ne considérer que ceux de l’esprit. Par conséquent, nous associons la sexualité et les sentiments sans jamais laisser place à une possible dissociation.
Seulement voilà, notre corps existe, avec ses envies et ses pulsions ; nous ne sommes pas que des êtres spirituels. Même si physiologiquement tout part du cerveau, le cerveau n’est pas l’esprit. Bien qu’ils interagissent, le corps et l’esprit diffèrent et, qu’on le veuille ou non, nous ne serons jamais de purs esprits. Le cerveau fait partie de nos organes et il génère parfois des réactions purement physiologiques hors de notre volonté.
Bien que nous semblons nous émanciper du contrôle moralisateur ecclésiastique, ce ne sont que des apparences. Heureusement, l’État reconnaît davantage que l’Église que nous sommes des personnes responsables de la signification et de la qualité à donner à nos conduites sexuelles, dans le respect et la tolérance de la liberté des autres. Mais les traces laissées par ces millénaires d’oppression sexuelle n’ont rien de dérisoire.
Aujourd’hui, dans nos sociétés modernes, l’Église passe plutôt par les médias. Plus besoin de s’y rendre, elle vient maintenant à nous. D’une façon divertissante et détournée, elle nous renvoie ses mêmes idéologies archaïques tout en s’assurant de nous faire savoir juste ce qu’il faut, créant une impression de liberté consciente. L’obscurantisme est un terme bien connu des hauts dirigeants de ce monde.
Ainsi, il n’est pas nécessaire d’être très religieux pour adhérer à tous leurs propos moralisateurs ; le contexte social nous l’impose. Le sociologue est devenu à sa société, ce que le prêtre est à sa paroisse.
« Le modèle ascétique continue ainsi d’agir librement, il s’est seulement sécularisé. Un simple changement des formes par lesquelles s’exprime une religion aussi vivante que par le passé. Même contestés, les savoirs ecclésiastiques restent dans la vie quotidienne les savoirs de base sur lesquels les autres viennent s’articuler » (Les nouveaux clercs de Jean-Marc Larouche).
C’est pourquoi les résultats des recherches en matière de sexualité féminine convergent toujours vers des constats qui s’accordent parfaitement aux idéologies patriarcales si chères aux institutions religieuses. Ce champ de recherche étant considéré comme primaire, voire primitif, gare à ceux qui tenteraient de remettre en question ces « évidences ».
Même au sein des plus prestigieuses universités du monde, il est inconvenant de s’entêter à ce niveau inférieur, métaphoriquement et littéralement. Pourtant, de plus en plus de preuves scientifiques prouvent au contraire que nous sommes encore loin de la vérité. Mais puisque nous ne semblons adhérer à la science qu’à partir du moment où elle ne contredit pas nos préjugés, nous ne sommes pas au bout de nos peines.
Laïcité et sécularisation n’ont donc rien de moderne hormis la simple constitution de ces termes, et ce, bien que les scandales sexuels, les scandales financiers et les abus de pouvoir pleuvent sur les institutions religieuses. Entre paroles et actes, le fossé ne cesse de s’élargir. La religion a encore une puissante emprise sur notre conduite sexuelle.
Aujourd’hui encore, ces règles et ces commandements sont si ingénieusement entremêlés qu’ils en deviennent à certains moments indiscernables. La confusion sème ainsi la crainte ; la peur et l’ordre moral conservent donc leur pouvoir !
Ainsi, il n’est donc pas surprenant encore aujourd’hui que de nombreuses associations catholiques et chrétiennes, qui n’ont absolument aucune expertise auprès des travailleuses du sexe, soient appelées à témoigner devant la Cour suprême du Canada lors du débat sur la décriminalisation de la prostitution. C’est dire à quel point la religion n’a pas dit son dernier mot en ce qui concerne le domaine de la sexualité.