CHAPITRE 5
En revanche, si ces chanteuses en déshabillé sont des modèles pour bien des jeunes filles, elles le sont aussi pour bien des femmes. Ce n’est un secret pour personne. Elles veulent leur ressembler. Paradoxalement, la société condamne cette image de femme forte, affirmée et sexuellement libérée. Notre société valorise l’hypersexualisation des femmes, mais elle stigmatise celles qui cherchent à accéder au plaisir. La nudité des vedettes vend, elle vend des albums et des films qui rapportent gros. Cependant, une femme « normal » qui fait de l’argent grâce à son corps et son image ne va pas du tout s’attirer le même regard et cela même si elle le fait avec assurance, fierté et de son plein gré.
Quelle différence y a-t-il entre la pop star qui s’expose presque nue lors d’un concert et la danseuse érotique qui en fait tout autant sur la scène d’un club ?
Serait-ce la mondanité, ce respect et ce regard approbateur que l’on porte à toutes ces vedettes ?
Sans ce paradoxe, qu’adviendrait-il de cet aspect interdit à la fois envoûtant et choquant que le public aime tant ?
Ne perdrait-il pas un peu de son attrait ?
Si l’on encourage ces jeunes vedettes à se dénuder, c’est pourtant uniquement une question d’argent. C’est rentable pour l’industrie du film, de la musique et bien d’autres. Ça passe relativement bien aux yeux de la société, c’est de l’art, dit-on ! En réalité, ce n’est encore une fois qu’un double standard et les motifs de notre acceptation reposent sur une morale douteuse et de solides intérêts économiques. Une femme « normale » qui affirme aimer son corps et ose s’en servir ouvertement pour séduire et faire de l’argent a de quoi déstabiliser, encore plus si elle est âgée. Elle va à l’encontre de l’humilité à laquelle on confine culturellement les femmes. Ce qui entre dans notre définition d’une sexualité féminine acceptable ne concorde tout simplement pas avec l’idée qu’une femme puisse tirer bénéfice de son corps et de son charme.
Ont-elles même le droit de s’affirmer ainsi, d’être fières et sûres d’elles-mêmes ? Il y a matière à se demander si cette confiance est légitime dans ce monde qui persiste à insinuer que ces comportements doivent être perçus comme vulgaires ou antiféministes.
Contrairement aux vedettes, les femmes qui tirent avantage de leurs charmes sont souvent étiquetées comme des filles faciles, des putes sans moralité ni respect pour leur corps. Ces femmes sont d’ailleurs souvent prises pour cible et accusées d’être un mauvais exemple pour les jeunes filles, la cause directe de l’hypersexualisation de celles-ci. Seulement, l’hypersexualisation demeure le résultat d’intérêts commerciaux qui visent principalement la vente de produits et de services. Facile d’incriminer ces femmes alors que c’est tout le système et le manque d’éducation qui y contribue.
Bien sûr, le corps des hommes aussi est parfois touché par ce phénomène, mais reste qu’hommes et femmes sont loin d’être égaux vis-à-vis de celui-ci. Ce qui expliquerait pourquoi l’hypersexualisation semble fondamentalement sexiste. Le sexisme qu’elle évoque est, à mon sens, relié à une morale sexuelle féminine incomparable à celle des hommes et non à l’hypersexualisation elle-même.
Garçons et filles ne sont pas plus égaux face aux conséquences de la sexualisation précoce. Les filles qui imitent ces comportements sexuels par leur style vestimentaire, leur attitude, leur posture, leur façon de danser, la consommation de pornographie, la pratique des relations sexuelles sont nettement plus mal perçues que les jeunes hommes du même âge qui auraient les mêmes pratiques. Alors qu’il est considéré positif, gratifiant et même « cool » pour un garçon d’avoir une sexualité active avec plusieurs partenaires et de le dire haut et fort, c’est tout le contraire qui se produit lorsqu’il s’agit d’une fille. Elle est aussitôt étiquetée comme un objet sexuel ou une victime.
Qu’on le veuille ou non, la sexualité fait encore face à de nombreux stigmates sociaux et à plusieurs niveaux. La sexualité des femmes est si empreinte de mystère que le fameux point G soulève encore beaucoup de questions et suscite toujours la curiosité. Le point G demeure un sujet controversé. Lorsque l’on aborde l’orgasme féminin, on peut rapidement détecter beaucoup d’incertitude, un amoncellement confus, incohérent et désordonné de théories scientifiques teintées de politique. Traditionnellement, tout ce qui est en lien avec le phallus est synonyme de force et de fierté, alors que tout ce qui a rapport à la vulve est tabou et policé. C’est pourquoi nos connaissances en matière de plaisir sexuel masculin sont beaucoup plus riches que celles concernant les plaisirs au féminin.
Nous avons tendance à oublier qu’il y a encore quelques décennies seulement les femmes étaient destinées à être enseignante ou mère au foyer, qu’elles n’ont pas eues le droit de vote (au fédéral) avant 1918 et qu’elles devaient soumission à leur mari. Ce n’est que depuis 1929 qu’elles sont considérées comme des personnes en vertu de la loi au Canada et pouvaient donc être nommée au Sénat. Les premières études cliniques sur la sexualité féminine, ayant pour but de redéfinir l’approche médicale de l’hystérie et autres troubles liés à la sexualité, n’auront lieu qu’au milieu des années 40 et 50. La conclusion des recherches n’a rien de bien rassurant pour les femmes puisque le vibrateur est aussitôt retiré des cabinets de médecin et des catalogues de vente par correspondance. Il devient tabou et clandestin. Elles devront donc attendre les années 80 pour que celui-ci puisse être enfin utilisé sans trop de gêne.
Il n’y a donc rien de surprenant qu’à l’heure actuelle plusieurs ne connaissent toujours pas la différence entre la vulve et le vagin, qu’ils ne peuvent identifier correctement toutes les parties des organes génitaux féminins et ne savent pas comment les stimuler adéquatement.
L’éjaculation féminine et la « femme fontaine » sont des sujets tellement méconnus par la majorité des gens que plusieurs ne font même pas la différence entre l’un ou l’autre. Pour certains, ce n’est qu’un mythe, une invention de l’industrie pornographique. D’autres croient encore que ce sont des facultés réservées à quelques types de femme seulement. Mais en réalité, chacune d’entre nous est disposée à être « femme fontaine ». Toutefois, cela nécessite une grande capacité à se détendre et se laisser aller, ce qui est loin d’être simple pour toutes les femmes.
La composition du liquide sécrété par le vagin de la femme fontaine et de celle qui éjacule n’est pas du tout la même. Notre manque de connaissances illustre bien où nous en sommes rendus en matière de sexualité féminine. Même l’érection féminine est encore inconnue pour plusieurs. Nombreux sont ceux qui ne savent pas que la vulve et le clitoris enfle lorsque la femme est excitée. Et croyez-moi, j’en sais quelque chose !
Comment peut-on croire en une réelle émancipation sexuelle de la femme alors qu’une grande majorité d’entre nous (homme ou femme) n’ont aucune idée du fonctionnement biologique et organique de l’organe sexuel féminin ? Nombreuses sont les femmes qui se retrouvent à l’âge adulte avec un savoir souvent très limité sur la question, voire une honte intérieure, qui les pousse à ne jamais aborder le sujet.
D’ailleurs, vous remarquerez que lorsqu’on s’occupe de la sexualité des femmes c’est pour inventer la contraception. Alors que lorsqu’on s’occupe de la sexualité masculine, c’est pour fournir aux hommes une façon d’augmenter le plaisir et la puissance sexuelle. D’ordinaire, la contraception médicalisée masculine est difficile à aborder, car elle est souvent associée à l’impuissance dans l’imaginaire masculin. Et, toujours dans l’imaginaire des messieurs, rien ne doit faire entrave à l’acte sexuel masculin, où la fécondité possible et le plaisir s’entremêlent. Nombreuses sont les méthodes de contraception sur le marché (implant, pilule, injection, « patch », anneau vaginal, diaphragme, cape cervicale, spermicide, stérilet, etc.), mais hormis le condom, tous sont destinés à la femme.
Si la contraception masculine n’est pas une réussite, en revanche, le succès du Viagra est phénoménal dans le monde entier. C’est une substance dont l’usage s’inscrit dans la logique de la domination masculine. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas que sur les plans économiques et sociaux où paraître est devenu plus important qu’être, au lit également. La performance au détriment du plaisir, c’est la réalité de bien des femmes. Le contrôle sociosexuel amalgamé aux inaccessibles critères de beauté imposés à la femme fait une pression colossale sur celles-ci, et entraîne une anxiété face à son apparence. Or, cette anxiété induit une focalisation sur son apparence pendant les rapports sexuels.
Nous sommes à une époque où nous tentons plus que jamais de contrôler l’apparence des femmes. Croire que ces normes de beauté irréalistes n’ont aucun impact sur le rapport des femmes à leur corps en contexte d’intimité sexuelle est, selon moi, bien illusoire. Pour plusieurs, plaire compte plus qu’avoir du plaisir. Être désirable devient plus important qu’avoir du désir.
Dans ce monde de performance où la beauté est reine, il en résulte souvent une relation sexuelle presque théâtrale où elles font fi partiellement ou totalement de leur propre désir, telles de simples figurantes de leur propre vie sexuelle… Nombreuses sont les femmes qui ont de la difficulté à s’épanouir pleinement au lit et, si plusieurs râlent pendant l’acte, ce n’est pas toujours par pur plaisir. En somme, si les femmes sont sexualisées, ce n’est pas pour autant qu’elles sont autorisées à goûter aux plaisirs sensuels. Les impératifs sociaux et les conventions forcent les femmes à réprimer leur désir et les normes de beauté contribuent à renforcer cet interdit. Ils constituent un puissant outil destiné à détourner les femmes de leur désir.
Quoi qu’il en soit, rien de tout cela ne nous rend la tâche simple sous la couette. La femme libérée n’est bien libre dans la mesure qu’où elle n’enfreint pas la morale. Modérer les hommes, n’accepter le sexe que s’il s’accompagne de liens, confondre amour et sexualité. La fille dite convenable, la « bonne fille », celle qui se respecte, a une image à entretenir, mais la pureté que l’idéologie lui impose laisse peu de place à une sexualité affranchie.
Les femmes ont appris à contenir leur sexualité et même à la nier pour certaines. Il y a tellement longtemps et de façon si homogène que la sexualité féminine a été brimée qu’on en est venu à croire qu’il en est ainsi. De ce fait, très peu de femmes oseront affirmer une sexualité dite « hors norme ». Les statistiques sont souvent basées sur ce qu’on attend d’une femme, rarement sur ce qu’elles sont vraiment. C’est d’ailleurs ce que confirment les recherches de Daniel Bergner, journaliste d’investigation pour le New York Times et auteur du livre « Que veulent les femmes ? », qui a enquêté auprès de nombreux chercheurs qui travaillent à la compréhension de la libido féminine.
Bien des femmes, même si elles s’en défendent, ont de la difficulté à assumer leur désir. Pourtant, les femmes aussi ont des fantasmes très sexuels. Le désir féminin est un moteur puissant, polymorphe et tout aussi animal que celui de l’homme. Cependant, par crainte d’être jugées, rares sont celles qui livreront ce genre de fantasme au grand jour.
La théorie de Galien, selon lequel la femme doit avoir un orgasme pour procréer, a perduré pendant quinze siècles et a dominé la science jusqu’à la renaissance.
Comment expliquer le fait qu’un concept aussi irréaliste ait survécu aussi longtemps ?
Pourquoi les femmes n’ont-elles jamais osé affirmer qu’elles parvenaient à concevoir sans même avoir d’orgasmes ? Pour les mêmes raisons qu’elles continuent de garder le silence au sujet de leur propre désir sexuel.
Comment peuvent-elles aller à l’encontre de ce que la société considère comme un fait immuable depuis des siècles ?
Se murer dans le silence, n’est-ce pas un mécanisme de défense tout à fait naturel ?
Les hommes veulent une femme sexuellement épanouie, une femme « cochonne », mais paradoxalement, l’homme le lui interdit. Les femmes chosifient les hommes autant que les hommes chosifient les femmes. Plusieurs aiment aussi la pornographie, mais le laissent rarement paraître. Tout le monde, les hommes comme les femmes, a son jardin secret, ses fantasmes coquins, parfois embarrassants et gênants à partager. Ça peut être bien difficile de départager ce qui est « normal » de ce qui est considéré comme déviant.
La peur du jugement étouffe bien des plaisirs. Entre celles qui simulent et prennent leur mal en patience, nombreuses sont celles qui se font plaisir toutes seules. La nuance entre la femme libérée et la salope ou la nymphomane étant si subtile, difficile d’y faire le tri et de laisser libre cours à nos fantasmes les plus crus sans se demander constamment si nos paroles et nos actions ne dépassent pas les limites du « respectable ». Je tiens d’ailleurs à souligner qu’il n’y a que les femmes qui peuvent être atteintes de cette maladie (la nymphomanie). Il y a bien un équivalent masculin, appelé « satyriasis », mais peu de gens connaissent ce terme puisque contrairement au terme « nymphomane », il n’est que très rarement employé. Bien que l’on s’accorde à parler d’hypersexualisation lorsque le comportement sexuel implique des conséquences négatives sur le plan social, l’exagération des désirs sexuels semble prendre la forme d’une pathologie beaucoup plus aisément chez la femme que chez l’homme.
L’inconscient collectif des femmes (et mêmes hommes) est encore aujourd’hui lourdement chargé. Le culte de la virginité (bien qu’encore très actuel ailleurs) a été changé pour celle qui ne s’est pas trop fait « passé dessus » ! L’indignation d’hier semble aujourd’hui avoir laissé place à la résignation.
Pourtant, l’image de la femme sexuellement passive et soumise que nous entretenons n’est pas dommageable que pour elle, mais pour les deux sexes. Tant qu’elle ne sera pas pleinement épanouie au lit, il ne le sera pas non plus. Les deux sexes semblent néanmoins tirer avantage de cette situation néfaste.
L’homme assouvit ses pulsions sexuelles à peu près comme il en a envie, même s’il se retient quelques fois puisqu’il doit lui aussi se conformer à ses dites attentes féminines. La femme, quant à elle, ne se gêne pas de lui faire porter le blâme quand l’un ou l’autre n’est pas comblé. Il domine, il est aux commandes. À lui, donc, d’assumer ce qui ne fonctionne pas !
Si la femme contemporaine doit encore aujourd’hui prendre en charge la plupart des corvées ménagères et la préparation des repas, en revanche, l’homme a beaucoup de responsabilités dans le domaine sexuel. Il doit être proactif, orchestrer les événements, exciter sa partenaire ; rarement, les rôles sont inversés.