CHAPITRE 1
Mon nom est Mariève. Je suis une femme, une sœur, une cousine, une amie. Je suis une personne aimante, compatissante, plutôt solitaire et très sensible, voire extrêmement sensible. Une amoureuse de la nature, des animaux, de l’art et de la musique. Je suis née d’une mère comptable agréée et d’un père ouvrier. Citoyenne canadienne, hétérosexuelle, danseuse et prostituée.
Voilà !
Il y a fort à parier que plusieurs arrêteront déjà leur lecture, concluant qu’une prostituée n’a certainement rien à dire que l’on puisse prendre en compte. Il est surprenant comment, à lui seul, un simple mot peut avoir autant de pouvoir que celui de déshumaniser complètement une personne. Comme si à la simple prononciation du mot « prostituée », je ne devenais plus que celui-ci. Que ma vie entière se résumait à un vide ponctué de nombreux ébats sexuels de nature perverse et déshonorante. Comme s’il s’agissait non pas d’un travail, mais de ma principale identité. Un être humain réduit à l’état d’objet, une enveloppe vide sans la moindre personnalité, un jouet sexuel manipulable et achetable par qui le veut bien. Puis, il y a le profil de la victime, cette femme pauvre, perdue et sans estime. Sans oublier la nymphomane sans respect pour son corps, une criminelle, vile et sans valeur.
Mais, je ne vous critique pas. Très tôt, la société façonne notre manière de penser et d’appréhender le monde. Que ce soit par la culture, la politique, la religion, l’école, la télévision, les films, les journaux, les magazines, la radio ou quelques médias que ce soit, les influences sont diverses, nombreuses et puissantes. Et, bien que l’opinion communément admise ne se soit pas toujours avérée la meilleure, il ne sera pas chose simple de remettre en question les idées reçues et défendre ses convictions, quel que soit le sujet.
Sachez d’abord que mes écrits ne visent pas la promotion de la prostitution ; je ne l’encourage pas plus que je ne la désapprouve. Depuis toujours, la prostitution existe et continuera d’exister, c’est ainsi.
Ne dit-on pas que c’est le plus vieux métier du monde (ou presque) ?
Il n’est donc pas surprenant qu’à l’aube du XXIe siècle, le développement des technologies de communication et la mondialisation capitaliste aient hissé l’industrie du sexe au sommet des marchés économiques mondiaux. On ne peut donc le nier, elle a actuellement une influence considérable sur l’échiquier mondial.
La prostitution n’est que la pointe de l’iceberg qui cache, dans ses eaux sombres et usées, un problème d’une bien plus grande ampleur. On a tendance à penser que seuls les travailleuses du sexe, leurs clients et les proxénètes sont concernés, mais cette constatation est à mille lieues de la réalité. En vérité, chacun de nous est concerné. C’est en fait dans la partie immergée du problème que se trouve la solution. La polémique qu’entraîne la prostitution n’est que la répercussion de la reproduction constante des mêmes idéologies archaïques.
Je tiens tout d’abord à préciser que ceci n’est qu’un essai. Dans la plus grande délicatesse qui soit, je tenterai de remettre en question certaines idées reçues afin que nous puissions peut-être un jour faire obstacle à l’étanchéité du paquebot de l’injustice faisant la navette entre le monde du crime organisé, celui de la drogue et de la sexualité. Je vous propose donc une balade au cœur d’une mer hostile où la morale, l’histoire, la religion, le droit, la psychologie et la sociologie font des embardées. Bien des gens seront certainement outrés par mes propos, mais je vous prierais de lire jusqu’au bout avant d’en juger.
Par où commencer ?
Comme le début d’un texte est certainement la partie la plus importante, j’avais intérêt à trouver les bons mots. Toutefois, trouver des mots assez puissants pour expliciter un sujet qui, en apparence, semble avoir été complètement épuisé n’avait rien d’une tâche facile.
Bien sûr, j’aurais pu débuter en soulignant quelques-uns des nombreux paradoxes qui m’avaient poussé sur la voie du travail du sexe, mais aurait-ce vraiment été suffisant ?
Puisque ce qui choque semble en général capter davantage notre attention, peut-être valait-il mieux débuter de manière crue et directe.
Devais-je encore une fois me mettre à nue devant vous ?
Dépeindre de manière salace chaque détail des moments les plus intenses de ma vie de prostituée ?
Vous raconter avec précision les propos licencieux de mes clients les plus exigeants ?
Comme le sexe est certainement l’un des meilleurs vendeurs de la planète, j’aurais ainsi probablement plus de chance de retenir votre attention ! Tout ça aurait sans doute été largement plus divertissant, mais malheureusement pour vous, l’heure du spectacle est terminée. J’ai dû jouer le dernier acte, il y a déjà un bon moment. Pour une fois, j’étais libre de partager tout ce que j’avais toujours dû garder pour moi. Et, pour être bien honnête avec vous, que mes écrits soient émoustillants ou non m’importe peu.
Je fais partie de ces gens à qui la vie a tout donné sans jamais rien reprendre. Je m’étais toujours sentie extrêmement privilégiée. J’avais tout pour être heureuse et j’en avais pleinement conscience : la santé, un toit, de la nourriture, de l’amour en abondance, une bonne famille, de bonnes amies, un copain… J’avais tout, mais je n’étais digne de rien. Comme si j’avais reçu un cadeau d’une valeur inestimable sans le moindre mérite. C’était un sentiment étrange avec lequel j’avais toujours eu beaucoup de difficulté à composer, jusqu’au jour où je dus me rendre à l’évidence, la situation m’échappait totalement.
C’était vers la fin du secondaire, nous étions assis en classe. Le cours portait sur les choix de carrière. Tout le monde semblait avoir une vague idée de ce qu’ils allaient faire dans la vie. Moi, je n’en avais aucune. Le secondaire tirait à sa fin et j’étais toujours au même point. La question n’était pas de savoir ce que j’allais faire dans la vie, mais plutôt ce que j’allais faire de MA vie. Trouver son métier d’avenir exige d’abord de croire en l’avenir. Avoir confiance en la vie était indispensable et, malheureusement, j’en étais incapable.
Comme à tous les cours, j’attendais impatiemment que la cloche sonne pour enfin m’en aller. Cette fois, c’était différent. La cloche avait sonné, tout le monde était parti. Moi, je n’avais pas de raisons de me lever ; je n’en avais jamais eu. Avant même que j’aie eu le temps de me rendre compte de quoi que ce soit, la classe était sens dessus dessous. Étant devenue un véritable danger pour moi-même, la police est venue me chercher. Puis, la DPJ a pris la décision de m’envoyer en centre d’accueil. Je n’avais pourtant jamais été violente. Je respectais toujours les autres et l’autorité, mais cette fois, c’en était trop. Le vide que j’éprouvais ne s’était jamais comblé et j’étais certaine qu’il ne se remplirait jamais. Mes parents n’étaient pas d’accord pour que je parte en centre d’accueil, mais c’était la Cour qui décidait. Heureusement, car cela aurait certainement été le dernier jour de ma vie.
Tout a commencé alors que j’avais environ cinq ans. J’étais bien loin de me douter que cet instant même serait le coup d’envoi d’un long périple vers une incertitude angoissante, voire affolante. Voilà le plus lointain souvenir de ma vie. Sans doute, le point de départ de ce présent écrit.
Je me souviens de ce moment où l’on m’a annoncé que la mort était inéluctable comme si c’était hier. Dès cet instant, je savais que ma perception de la vie ne serait plus jamais la même.
Comment les gens faisaient-ils pour supporter cette réalité ?
Disposaient-ils d’une force intérieure qui m’était inaccessible ?
Était-ce moi qui étais tout simplement trop faible pour faire abstraction de cette réalité ?
Naître, vieillir, perdre les gens qu’on aime pour finir par s’en aller à notre tour dans je ne sais quelle souffrance et pour aller je ne sais où ! L’ordre des choses me paraissait complètement insupportable.
Je souhaitais que tout ne soit qu’un rêve. Seulement, il n’en était rien.
La vie était-elle bel et bien un cadeau ou m’avait-on induite en erreur ?
Valait-elle vraiment la peine d’être vécue ?
Pouvais-je croire en ce qu’on m’avait toujours dit ?
À quel point les adultes étaient-ils raisonnés ?
J’avais peur et je me sentais vulnérable. Pour la première fois, bien que je ne sois pas seule, un sentiment de profonde solitude m’accaparait. Heureusement, ma mère avait toujours les mots pour me rassurer. Il suffisait de me raconter une belle histoire pour que ma conscience se retrouve à nouveau bercée d’illusions. Il y a évidemment une limite à l’apaisement que peut nous procurer la magie des contes de fées et, cette fois, je l’avais atteinte.
Plus le temps passait, plus je constatais à quel point la vie foisonnait d’innombrables incohérences et contradictions. Les nouvelles télévisées et la simple vue de toute cette violence bouleversaient quotidiennement ma conscience et me tuaient à petit feu. Chaque scène me contraignait à une interrogation et trop souvent les réponses s’avéraient cruelles.
Pendant que mon pays se battait pour conserver sa manière traditionnelle de désigner les choses, il offrait ainsi un hommage à ses ancêtres. Il rendait la pareille aux héritiers en leur tendant marteau et clous dans l’espoir qu’ils puissent reboucher le trou dans la couche d’ozone ! Leur murmurant à l’oreille quelques citations obscures, les persuadant de chanter sur le même ton que leurs confrères, excluant toute considération pour les fausses notes qui auraient pu être jointes à la symphonie. Comme si la vie n’était qu’une partition entraînant une mélodie dont le refrain redondant ne suivrait plus le rythme de la chanson.
Si la vie était assez cruelle et injuste pour laisser lentement mourir de faim, de soif et de maladie des millions d’enfants, comment pouvait-elle avoir un sens ?
Quelle raison valable pourrait-il exister pour justifier un tel traitement ?
Surtout, sur des êtres aussi inoffensifs que des enfants ou encore des animaux. L’absurdité de la condition humaine me consternait.
Comment la vie pouvait-elle être à la fois si belle et parfois si impitoyable ?
La mort était peut-être finalement la seule justice.
Ma douleur avait atteint son paroxysme. J’avais mal. Un mal si atroce qu’aucun mot ne saurait décrire. Je ne pouvais me résigner à accepter l’inacceptable. J’en étais malade, profondément atteinte. Soumise à l’intenable sentiment d’impuissance qui m’avait toujours habité, j’avais constamment la sensation insupportable d’être prise au piège dans mon propre corps. Dominé par la peur lancinante de vivre et de mourir, je tentais de respirer tant bien que mal malgré ma trachée écrasée sous le poids du monde. La nuit et le jour se confondaient au point où le temps ne signifiait plus rien, si ce n’est un léger tintement paradoxalement assourdissant. Comment donner un sens à ce qui n’en a aucun ? J’étais complètement désabusé et assoiffé de vérité.
Facile de croire qu’il existe un sens et une raison à chaque chose lorsque nous sommes épargnés de ce que ce monde a de plus laid à offrir. Pourrais-je y croire s’il s’agissait de moi-même ?
Si c’était moi l’animal dépouillé sauvagement de sa fourrure alors qu’il est encore en vie ?
Si c’était moi la fillette de 9 ans violée légalement et à répétition par son époux de 30 ans son aîné ?
Si c’était moi qui avais été condamné à tort et emprisonné à perpétuité dans l’une des pires prisons du monde ?
Si c’était moi qui m’éteignais à petit feu dans d’atroces souffrances, faute de n’avoir point accès à des soins médicaux ?
Si c’était moi l’homme, la femme ou l’enfant, entassé comme de vulgaires légumes et brûler vif dans les fours crématoires des camps de concentration ?
Si c’était moi, le sans-abri rongé par la solitude et la maladie mentale ?
Si c’était moi qui voyais ma famille entièrement décimée par des soldats obnubilés par la parole d’un dictateur désaxé ?
Si c’était moi l’enfant enfermé dans le sous-sol crasseux d’un pédophile sans scrupule ?
Si c’était moi l’enfant abandonné au beau milieu d’une décharge ou vendu par sa propre famille à des réseaux de prostitution ?
Si c’était moi qui servais de cobaye aux expériences tordues et inhumaines d’un déséquilibré ?
Si c’était moi qui m’endormais par terre tous les soirs, coincé dans ce corps squelettique en manque cruel de nourriture et d’eau potable ?
Y trouverais-je un sens ?
Je savais que je ne pourrais être privé de vérité encore très longtemps.
Pourquoi vivre si tout n’est que chaos et souffrance, si tout n’est que mensonge et illusion ?
Peut-être cette infinie souffrance cachait-elle une raison simplement trop complexe pour que je puisse la saisir ?
Devais-je tenter de trouver la sagesse d’accepter que je ne pouvais pas tout comprendre ?
Était-ce véritablement de la sagesse ou simplement de la résignation ?
Je me sentais comme un parasite dont l’utilité ne se résumait qu’à gruger les ressources d’une planète qui peine à respirer.
Qui peut vivre tous les jours coincé entre la vie et la mort ?
Qui peut résister à un tel supplice ?
Cela faisait plusieurs heures que j’étais assise sur mon lit, seule dans ma chambre, quand soudainement je pris conscience d’une chose. Bien que l’être humain possède des potentialités pour le bien comme pour le mal, je crus que sa potentialité à la bonté et à l’empathie était plus importante que sa propension à la cruauté et à la méchanceté. Bien sûr, le goût de la violence pur existe, mais il ne concerne certainement pas la majorité des gens.
Peu importe notre nationalité, nos croyances, notre culture ou notre religion, la notion du bien et du mal semble toujours au cœur de notre réflexion. Bien qu’elle soit relative à chacun, elle m’apparaissait comme une
« religion » commune à tous, un savoir inné. Peut-être était-ce même la seule vérité. Nous agissons toujours pour le bien, si ce n’est souvent que pour le nôtre. J’écris ce texte pour tenter d’alléger la souffrance d’autrui parce qu’elle est mienne. Je l’écris donc pour moi.
Je ne pouvais pas savoir avec certitude si Dieu ou une quelconque force supérieure existe vraiment. Je pouvais toutefois affirmer, sans le moindre doute, qu’il existe des êtres humains fondamentalement bons. Pour eux, j’aurais remué ciel et terre afin de rétablir un peu de justice.
C’est ainsi que j’ai choisi d’avoir foi en l’humanité, de croire en l’homme et en ses facultés. Non seulement en celles qu’on lui connaît déjà, mais aussi en celles qui lui sont encore inconnues. Sans la foi, il n’y avait plus d’espoir pour moi, et sans espoir que reste-t-il ? Je compris qu’avoir la foi était essentiel. Attention, cependant, je ne parle pas de religion ici, mais d’une foi spirituelle, consciente et affranchie.
En fait, tous mes espoirs reposaient sur vous.
Vous qui jamais ne jugez les gens selon ce qu’ils possèdent et pour qui être bon est l’unique but de l’existence.
Vous qui faites preuve d’abnégation, peu importe la situation.
Vous qui savez pardonner, qui savez donner sans jamais rien attendre en retour et aimer sans condition.
Je dédie ces écrits à ceux qui ont à cœur la justice et le bonheur des autres.
À ceux qui, malgré la violence et la cruauté de l’homme, ont su chasser l’amertume et demeurer charitables.
À vous pour qui être et agir auront toujours plus d’importance que paraître et avoir.
À tous ceux qui reconnaissent ne pas savoir et qui luttent constamment contre le doute.
À tous ceux qui ont complètement perdu le nord à force de le chercher.
À tous ceux qui vivent le cœur sur la main malgré les incertitudes.
À ceux qui connaissent la véritable valeur d’un sourire ou d’une caresse, la valeur d’un fou rire ou simplement celle de l’odeur d’un feu ou du vent après la pluie.
Vous êtes mon espoir. L’espoir de nous savoir encore capables de penser avec le cœur et non la tête ou l’égo. L’espoir d’être plus que de simples machines de chair et d’os destinés à un trou noir. L’espoir d’un monde qui n’est pas totalement sclérosé et où l’évolution ne tient pas qu’au nouveau iPhone sur le marché. Vous êtes la richesse de ce monde ; la raison pour laquelle je me lève encore le matin. Dire que je n’ai pas de mots pour vous remercier serait immensément faible pour vous dire combien je vous suis reconnaissante d’exister.
Sans vous, je ne suis tout simplement rien.
Peut-être que je ne pourrais jamais changer quoi que ce soit au monde qui m’entourait, mais j’avais la possibilité de me changer, moi. J’avais le pouvoir de réviser tout ce qui m’avait été inculqué et ainsi redéfinir qui j’étais vraiment. Accéder au meilleur de ce que je peux être ; voilà la quête qui me paraissait la plus juste.
Du coup, cet ouragan d’impuissance qui m’avait tant importuné semblait s’être calmé. J’apprivoisais lentement la vie. Seulement, la douleur du monde continuait à peser très lourd sur ma conscience. Mon questionnement sur tout et rien persistait malgré moi. J’avais tout dans la vie pour être heureuse et, paradoxalement, c’est sans doute ce qui me faisait le plus mal. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais droit à autant de chance alors que d’autres mouraient de faim. Je me sentais coupable d’exister, coupable de respirer. Chaque fois où je sentais le bonheur monter en moi, j’avais une pensée pour tous ceux qui n’avaient pas eu droit à cette clémence. Je me sentais si égoïste d’être heureuse alors que tant de gens souffraient.
Puis, un jour, quelqu’un m’a dit : « Mariève, si tu veux pouvoir aider les autres, il faudrait d’abord que tu commences par t’aider toi, te laisser le droit d’être heureuse ! »
J’ai trouvé ces paroles pleines de sens. Cela peut paraître insignifiant, mais cette seule phrase a suffi à changer complètement ma perception des choses. C’était l’évidence, jamais je ne pourrais aider qui que ce soit sans d’abord me prendre en main. Comment venir en aide aux autres en étant moi-même au bord du gouffre ?
C’est donc à ce moment précis que j’ai commencé à vivre. Je m’étais toujours sentie infiniment redevable envers la vie. Pour la première fois, j’avais la sensation de détenir enfin les outils nécessaires à l’accomplissement de mon devoir. Honorer ma chance en aidant mon prochain était sans conteste le meilleur des chemins à suivre. J’ai toujours eu le sentiment que c’était l’une des principales raisons de mon existence.
Toutefois, tenter d’alléger la souffrance du monde n’était évidemment pas une mince tâche. Je me demandais parfois si tout ça avait même seulement une once de réalisme. Quoi qu’il en soit, c’était la voie que j’avais choisie de prendre. Pour ce faire, je devais irrémédiablement cerner l’origine de cette détresse humaine.
Une question en particulier me revenait souvent en tête : « Comment le fondement de notre existence peut-il revêtir un caractère essentiel et indispensable tout en faisant l’objet d’un tabou ? »
La sexualité humaine a connu toutes sortes de revirements au cours de l’histoire. Le sexe se vit aujourd’hui sans complexes tant du côté des hommes que celui des femmes. Nombreux sont les pays où toutes les variantes sexuelles sont considérées comme normales, quand elles sont consenties. Pourtant, de nombreuses contradictions sont toujours très actuelles. Si les interdits d’autrefois ne semblent être qu’un mauvais souvenir aux yeux d’une majorité, il reste que de multiples ambiguïtés persistent.
Comment l’industrie du sexe peut-elle occuper le sommet des marchés économiques mondiaux et être à la fois réprouvée (à différents degrés) partout dans le monde ?
Pourquoi une femme qui a plusieurs partenaires sexuels semble-t-elle perdre sa valeur, alors qu’un homme qui couche avec plusieurs femmes gagne en virilité ?
Pourquoi une femme mature qui fréquente un homme plus jeune sera-t-elle souvent jugée abjecte et à la limite du ridicule, alors qu’un homme mature qui fréquente une jeune femme est généralement un signe de réussite ?
Pourquoi les femmes ayant une forte libido sont-elles fréquemment considérées comme des nymphomanes, alors qu’un homme possédant une libido identique à celles-ci n’est pas associé à un trouble du comportement sexuel ?
De plus, coucher le premier soir semble encore rédhibitoire pour une relation à long terme. Encore aujourd’hui et ce dans plusieurs régions du monde, une femme qui s’adonne aux plaisirs de la chair lors du premier rendez-vous risque grandement d’être dépeinte comme une fille facile ou une femme aux mœurs légères.
Pourquoi est-ce différent lorsqu’il s’agit d’un homme ?
Pourquoi la vulve choque-t-elle, alors que le phallus est plutôt un symbole de force ?
Chaque année, l’industrie du sexe génère des profits effarants. Pornhub est d’ailleurs l’un des sites Internet les plus fréquentés au monde. Photos, vidéos, magazines, webcams, clubs de danseuses, salons de massage, maisons closes et j’en passe. Nombreuses sont les possibilités pour ceux qui auraient envie d’ajouter un peu de piquant à leur vie sexuelle.
Combien de couples, d’hommes ou de femmes ont regardé des films pornographiques tout en se masturbant pour ensuite tenir un discours diffamatoire sur les travailleuses du sexe ?
Comment pouvons-nous expliquer qu’autant de gens puissent faire appel aux services des travailleuses du sexe tout en encourageant des propos médisants sur le compte de celles-ci ?
Combien de familles provenant de pays sous-développés vivent entièrement des revenus de la prostitution de leurs propres filles tout en méprisant ces dernières dans l’espoir de sauver l’honneur de la famille ?
Comment se fait-il qu’encore aujourd’hui, d’après l’UNICEF, que
30 millions de femmes risquent d’être excisées au cours des
10 prochaines années dans le monde (soit 1 femme toute les 4 minutes). Pour quelle raison les mutilations génitales visant à supprimé l’orgasme ou tout forme de satisfaction sexuelle affecte des millions de femmes, alors que ce type de mutilation n’a pratiquement jamais été pratiqué sur aucun homme dans l’hitoire?
Comment expliqué que le plaisir sexuel féminin dérange encore autant?
Combien ont enterré une vie de garçon (ou de fille !) avec un petit striptease tout en interdisant formellement à leurs enfants (plus souvent la fille) de se lancer dans ce genre de commerce ?
Mon père pouvait ressortir d’un club de danseuses sans culpabilité ni crainte d’être trop durement jugé par son entourage ou la société. Par contre, ce qui m’attendait si j’allais y travailler se révèlerait certainement beaucoup plus amer.
Comment expliquer qu’à l’exception des avancées potentielles de l’industrie pharmaceutique, l’étude de la psyché sexuelle des femmes soit encore un domaine négligé par les subventions et les investisseurs de la recherche, contrairement à l’importance qu’elle revêt ?
Pourquoi là où des centaines de chercheurs devraient coopérer pour le bien commun, on ne trouve encore que des théories approximatives, de la répression politique ainsi que des diktats moribonds et aveugles ?
Quoi qu’il en soit, tout cela m’apparaissait assez hypocrite. On avait beau me dire qu’une révolution sexuelle avait eu lieu et que les femmes s’étaient désormais émancipées, peu m’importe, il m’apparaissait clair que l’un des deux sexes vivait sa sexualité de façon beaucoup plus explicite et assumée que l’autre, mais pour quelles raisons ?
La sexualité étant un élément capital à la survie de notre espèce, un besoin fondamental nécessaire à notre bon fonctionnement physique et psychologique, pour quelles raisons pouvait-elle donc être aussi fortement liée à la honte et à la culpabilité ? Je ne comprenais pas ces malaises et tout ce mystère qui l’entourait.
Bien que nous n’ayons qu’effleuré le sujet à l’école, j’en ressortais avec bien plus de questions que de réponses. Vu l’inconfort qui régnait autour du sujet, je m’abstins de poser plus de questions. L’école abordait la sexualité davantage sous l’angle de la santé et de la prévention. Très peu de place était consacrée au plaisir et à tout ce qui concerne l’orgasme et les fantasmes. Bien que je finis tout de même par saisir l’essentiel du sujet, j’avais beaucoup de mal à comprendre pourquoi toutes ces contradictions et ces ambiguïtés.
Peut-être étais-je simplement trop jeune pour comprendre ?
Il y avait certainement une logique à tout ça, mais plus le temps passait, plus le mystère et les contradictions s’amplifiaient et me dérangeaient. La sexualité étant au cœur des relations humaines, elle influençait donc certainement directement et indirectement plusieurs sphères de la vie humaine.
La controverse que soulève la prostitution pourrait-elle cacher plus qu’un problème de société ? Notre sexualité dissimuleraitelle un secret ?
Peut-être n’était-ce rien de plus qu’une tempête dans un verre d’eau ou l’ingrédient facultatif à la recette du bonheur, mais j’en doutais.